Laboratoires d’Idées et Chambres d’Echo

Traduction officielle du Chapitre 8 de la série « The Story of Us » du blog Wait But Why par Tim Urban.

Ceci est le Chapitre 8 d’une série. Si vous découvrez la série, visitez la page d’accueil de celle-ci pour une table des matières complète

Chapitre 8 : Laboratoires d'idées et chambres d'écho

« Les moutons ne souhaitent rien d’autre qu’une conformité douce comme la laine. » – Kevin Focke

Le chapitre 7 a commencé par une question : « Pourquoi croyons-nous ce que nous croyons ? »

Nous avons passé le reste du chapitre 7 à réfléchir à la pensée en 2D, explorant comment notre processus de pensée change à mesure que nous nous déplacions de haut en bas dans la deuxième dimension : le Spectre Psychique. À la fin du chapitre, je vous ai rappelé que toute la discussion ne portait que sur une tranche en 2D de ce qui est en fait un espace en 3D de la pensée et du comportement humain.

La bonne nouvelle, c’est que la troisième dimension est quelque chose que nous avons déjà abordé au début de la série : La Tour d’Émergence. La voici dans toute sa gloire :

TOUR D'ÉMERGENCE : Particule subatomique ; atome ; molécule ; protéine ; organelle ; cellule ; tissu ; organe ; système organique ; animal ; dizaines d'animaux ; milliers d'animaux ; centaines de milliers d'animaux ; dizaines de millions d'animaux ; espèces ; biome ; biosphère ; sphère cosmique ? ; sphère multivers ??

On serait sur le point de se payer une bonne tranche si on se lançait maintenant dans une discussion sur la sphère multivers. Malheureusement il nous faut d’abord nous occuper du cas de l’humanité. Nous allons donc zoomer ici :

ÉMERGENCE HUMAINE : une personne ; dizaines de personnes ; milliers de personnes ; centaines de milliers de personnes ; dizaines de millions de personnes ; 7.5 milliards de personnes

Voir en 3D

Nous avons besoin de la deuxième dimension car l’existence humaine investit l’ensemble du Spectre Psychique. Ce en quoi nous le considérons comme une dimension.

SPECTRE PSYCHIQUE ; éventail humain

Nous avons besoin de notre troisième dimension pour la même raison. Il n’y a pas vraiment besoin d’une troisième dimension pour penser au comportement des fourmis ou des ours polaires parce qu’ils existent quasi-entièrement en un seul point de la Tour d’Émergence. Les fourmis ne fonctionnent jamais comme des individus se considérant comme plus importants que les autres – elles sont toujours les cellules d’une colonie dévouées au bien-être de la colonie. Les ours polaires sont quasiment 1 toujours des individus solitaires et égoïstes, qui se sacrifient rarement pour le bien-être des ours polaires voisins.

Animal ; dizaines d'animaux ; milliers d'animaux ; centaines de milliers d'animaux ; dizaines de millions d'animaux ; espèces --- Les fourmis fonctionnent presque toujours comme des parties d'une colonie et non comme des individus indépendants ; Les ours polaires fonctionnent presque toujours comme des individus indépendants, et non comme des parties d'un grand groupe.

Mais les humains sont plus compliqués. Comme les fourmis, les humains fonctionnent souvent comme les cellules du géant qu’est leur tribu mais contrairement aux fourmis, les humains sont aussi assez complexes pour fonctionner comme de véritables entités individuelles, à la manière des ours polaires. Tout comme notre relation avec le Spectre Psychique, nous fonctionnons simultanément en plusieurs points de la Tour d’Émergence – comme je l’ai dit au chapitre 2, nous voyageons dans l’ascenseur de la Tour d’Émergence.

ÉMERGENCE HUMAINE : une personne ; dizaines de personnes ; milliers de personnes ; centaines de milliers de personnes ; dizaines de millions de personnes ; 7.5 milliards de personnes --- humain individuel ; couple / ami ; famille / ami ; élèves d'une même classe ; famille étendue ; petites communautés ; grandes communautés ; très grandes communautés ; petits pays ; grands pays ; grandes religions ; espèce humaine --- Les humains participent simultanément de tous ces niveaux

Chaque phénomène humain devient un peu plus clair lorsque nous le regardons en 2D à l’aide de notre Spectre Psychique. Et les choses commencent à prendre encore plus de sens quand on considère aussi la Tour d’Émergence. Le fait de voir en 3D nous permet de considérer ces deux idées simultanément.

Les visuels peuvent devenir un peu compliqués ici, surtout quand c’est moi le graphiste, je compte donc sur votre indulgence. La Tour d’Émergence est un peu comme un axe Z que l’on peut retourner sur le côté et ajouter à notre graphique x-y :

SPECTRE PSYCHIQUE ; PENSÉE HUMAINE ; TOUR D'ÉMERGENCE

Le Spectre Psychique se combine à un spectre de la pensée et du comportement humain et le transforme en carré, auquel la Tour d’Émergence s’ajoute et transforme l’histoire des humains en un cube.

SPECTRE PSYCHIQUE ; PENSÉE HUMAINE COMPORTEMENT ; TOUR D'ÉMERGENCE

C’est notre « pain » complet de la pensée et du comportement humains. Et comme un pain, on peut le couper en tranches.

Lorsque nous nous concentrons sur ce qui se passe dans nos têtes, nous pensons au bas de la Tour d’Émergence – la tranche du rez-de-chaussée – qui est le domaine de la psychologie individuelle. Nous avons passé tout le chapitre 7 ici :

PSYCHOLOGIE INDIVIDUELLE

Pour élargir notre vision en 3D, prenons un exemple super simplifié de 500 personnes vivant en communauté quelque part.

500 individus

Et disons que ces 500 personnes sont parfaitement divisées en 100 familles de cinq personnes.

500 individus ⟶ 100 familles

Une famille de cinq personnes est un mini-géant. Imaginons maintenant que chacune de ces familles fait partie d’une petite communauté de cinq familles.

500 individus ⟶ 100 familles ⟶ 20 petites communautés

Et enfin, ces 20 communautés font toutes partie de la grande communauté de 500 personnes.

500 individus ⟶ 100 familles ⟶ 20 peties communautés ⟶ une grande communauté

Ce simple exemple nous rappelle qu’une communauté de 500 personnes n’existe pas seulement comme un géant de 500 personnes sur la tranche de pain des « centaines de personnes » – elle s’étend sur toute la partie du pain qui se trouve en dessous.

De même, cette communauté de 500 personnes n’est elle-même qu’un morceau des communautés, factions et nations plus importantes qui existent sur les tranches supérieures.

Pour vraiment comprendre la communauté de 500 personnes et pourquoi elle est telle qu’elle est, nous devons examiner chaque couche de petites unités qui la composent et les grands géants qui l’englobent. Pour vraiment comprendre ce qui se passe avec un groupe de n’importe quelle taille, nous devons considérer comment il interagit avec toutes les tranches du pain.

Il en va de même pour la compréhension des individus. Les gens de notre communauté de 500 personnes n’existent pas en tant qu’esprits isolés. Chaque personne est un organisme individuel, un « organe » du mini-géant qu’est sa famille, un fragment de tissu dans le géant “petite communauté” , une cellule du géant qu’est la communauté de 500 personnes, et un organite, une molécule, un atome et une particule subatomique dans les géantes suivantes encore plus grandes – et tout cela en même temps. Chacune de ces tranches joue un rôle en influençant les pensées et le comportement des individus, et à son tour, chaque personne joue un petit rôle en influençant les géants dont elle fait partie.

Cela ne fait que se compliquer lorsque nous sortons d’un cadre hypothétique simplifié pour entrer dans le monde réel – où les niveaux réels de géants sont désordonnés, se chevauchent et sont très variables.

Le fait est que chaque entité dans le pain – chaque couple, famille, communauté, entreprise, université, institution religieuse, parti politique, nation, même l’espèce dans son ensemble – fait sa propre tambouille dans les deux autres dimensions. Chacun d’eux se déplace autour de la première dimension – l’axe Quoi – au fur et à mesure que ses pensées et ses comportements se déplacent et évoluent. Et chacun poursuit son propre combat au sein du Spectre Psychique le long de la seconde dimension.

Pour donner un sens à tout cela, nous devons discuter de la force critique et invisible qui relie toutes les tranches du pain : la culture.

Culture

La culture est l’ensemble des règles, normes et valeurs non écrites qui entourent « la façon dont nous faisons les choses ici ». Chaque environnement humain – des couples de deux personnes aux salles de classe de 20 personnes en passant par les entreprises de 20 000 personnes – est imprégné de sa propre culture. Nous pouvons visualiser la culture d’un groupe comme une sorte de nuage gazeux qui remplit la pièce lorsque le groupe est ensemble.

Une société humaine est une riche tapisserie de cultures qui se chevauchent et qui sont parfois très contradictoires, et chacun de nous vit au niveau de  son propre carrefour culturel unique.

À plus grande échelle, nous faisons tous partie de plusieurs vastes nuages culturels transnationaux – où des coutumes comme la poignée de main, le salut, le jour de l’an, les anniversaires, les jeux de cartes, le fanatisme sportif et les pourboires, pour n’en nommer que quelques-unes, ont pris une signification largement partagée. Chaque nation est un petit nuage avec sa propre sous-culture. Les Américains persuadés de ne rien avoir en commun avec certains autres Américains tiennent pour acquis un riche ensemble de normes, de coutumes et de valeurs spécifiques qu’ils partagent en réalité. 2

Au sein des cultures les plus vastes se trouvent des milliers de petites communautés – chacune avec sa propre vibration culturelle qui influence ses membres. Une personne qui travaille dans une startup technologique de la région de la baie de San Francisco vit simultanément au sein de la grande communauté humaine, de la communauté mondiale de l’Occident, de la communauté américaine, de la communauté de la côte ouest des États-Unis, de la communauté de San Francisco, de la communauté de l’industrie technologique, de la communauté des startups, de la communauté de son lieu de travail, de la communauté des anciens élèves de son collège, de la communauté de sa famille élargie, de la communauté de son groupe d’amis, de quelques autres situations bizarres de SF, et d’une douzaine d’autres communautés liées à son vécu (y compris, s’il est visiteur régulier  ici, la communauté Wait But Why et la communauté Wait But Why en Français). Pour chacun d’entre nous, les cultures les plus proches sont les micro-cultures de notre famille immédiate, de nos amis les plus proches et de nos relations amoureuses. Aller à contre-courant de toutes les grandes communautés combinées semble plus facile que de violer les règles non écrites des minis-cultures qui forment notre environnement le plus intime.

Les règles, les normes et les systèmes de valeurs d’une culture se rapportent à un large éventail d’expériences humaines. Un groupe d’amis, par exemple, a une façon de fêter les anniversaires, une façon d’utiliser les emojis, une façon de parler dans le dos des autres, une façon de se vanter et de se déprécier, une façon de gérer les conflits, et ainsi de suite.Un groupe d’amis aura aussi une manière spécifique de gérer l’adhésion culturelle de ses membres – un groupe habituellement réticent à des propos trop directs se délectera du franc-parler d’un de ses membres, tandis que ces mêmes propos pourront justifier le renvoi d’un autre groupe. Les comportements à l’intérieur d’une culture différeront selon qu’elle montre du doigt les célibataires de 30 ans (les incitant ainsi à rechercher un partenaire de vie avant l’âge fatidique), ou qu’elle n’exerce sur ce plan aucun pression.

Vivre simultanément dans plusieurs cultures fait partie de ce qui rend difficile le fait d’être un humain. Gardons-nous nos valeurs intérieures individuelles pour nous-mêmes en faisant de notre mieux pour adapter notre comportement extérieur à la culture dans laquelle nous nous trouvons à l’instant T ? Ou bien restons-nous fidèles à une culture particulière et vivons-nous selon ses règles partout, à nos risques et périls sociaux ou professionnels ? Ou bien choisissons-nous plutôt l’authenticité totale, en laissant nos valeurs intérieures guider notre comportement, sans le modifier, pour le meilleur ou pour le pire ? Pilotons-nous nos vies de manière à trouver des cultures externes correspondant à nos propres valeurs et minimisant les frictions? Ou bien nous entourons-nous d’un éventail de cultures conflictuelles qui, par la pression qu’elles exercent sur notre esprit, nous font apprendre et grandir ? Que vous le réalisiez consciemment ou non, vous prenez ces décisions tout le temps.

Et ces décisions sont importantes – parce que les cultures auxquelles nous consacrons du temps ont une influence majeure sur nous.

Incitations Culturelles

Vous souvenez vous de Moochie de la première partie ?

Les Johnsons ont poussé le comportement de Moochie dans une certaine direction en ajoutant des récompenses culinaires et des pénalités d’électrocution dans son environnement. Un peu comme ceci :

Dans la deuxième partie, nous avons examiné comment le dictateur brutal, le Roi Moustache, a fait la même chose en imposant des peines sévères pour avoir dit ce qu’il ne fallait pas, et comment les démocraties libérales ont ensuite renversé la situation en rédigeant leur propre ensemble de règles pour punir la violation des droits inaliénables. Nous avons également examiné comment les marchés économiques libres récompensent la création de valeur avec de l’argent. Toutes ces idées sont les mêmes, mais avec des punitions et des récompenses différentes.

Les cultures utilisent également des systèmes d’incitation. Au lieu de sanctionner par la violence ou la prison, certaines cultures font respecter leurs valeurs par des punitions sociales et psychologiques comme la critique, la raillerie, la honte et l’ostracisme. En lieu et place de croquettes et d’argent, elles utilisent des récompenses comme l’éloge, l’acceptation, l’approbation, le respect et l’admiration.

Ridiculisation ; louanges ; honte ; inclusion

En d’autres termes, dans une espèce qui, collectivement, ne quitte jamais vraiment le collège, les cultures déterminent quel type de comportement vous rendra cool ou impopulaire. Pour des créatures sociales comme les humains – des créatures avec un gros mammouth dans la tête – ces punitions culturelles et ces récompenses fonctionnent aussi bien (et souvent bien mieux) que des types d’incitations plus tangibles, pour orienter le comportement des gens dans un groupe.

Ce qui soulève une question importante : pourquoi une culture particulière fait-elle respecter certaines valeurs et pas d’autres ?

La culture, en 2D

Dans votre tête, votre Esprit Supérieur (Higher Mind) et votre Esprit Primitif (Primitive Mind) se disputent le contrôle de votre comportement. Au niveau du groupe, les deux esprits se bousculent pour contrôler la culture du groupe. Quand un groupe est réuni, les Primitive Mind et Higher Mind se regroupent avec leurs homologues dans une lutte de pouvoir à l’échelle du groupe. Comme pour la personnalité individuelle, chaque culture de groupe tend à s’équilibrer par défaut sur un niveau général donné du Spectre Psychique.

L’équilibre psychique d’une culture exerce une traction verticale sur les individus qui la composent, remplissant chaque culture d’une sorte de courant électrique.

Dans une culture dotée d’un Higher Mind, les valeurs omniprésentes sont dictées par le Higher Mind, ce qui en fait une culture à charge positive qui exerce une traction vers le haut sur le psychisme de ses membres. Le comportement récompensé ou supprimé par la culture s’aligne davantage sur les valeurs du Higher Mind et les interactions ont un ton généralement élevé, ce qui donne du pouvoir aux Higher Mind des gens au sein de la culture.

Dans une culture chargée négativement, le Primitive Mind joue à domicile. Les conversations sont plus mesquines, les valeurs plus superficielles, le conformisme étouffe l’individualité. Bref, retour au collège. Une culture comme celle-ci parle directement au Primitive Mind de chacun de ses membres, attisant continuellement leurs feux tandis que les Higher Minds marginalisés tentent vainement de remonter le courant.

Comme toujours, la lutte pour le pouvoir se joue sur un spectre, non de manière binaire – et les cultures, comme les individus, se trouvent souvent quelque part au milieu du spectre. Mais dans les groupes, où ce genre de « coalition » peut se former, l’esprit qui parvient à dominer le groupe possède un sérieux avantage difficile à surmonter.

La culture, en 3D

Jusqu’à présent, nous nous sommes concentrés sur la relation entre la culture et les individus. Dans ce domaine, la culture fonctionne comme un point de départ. Mais lorsque nous passons à des niveaux d’émergence plus élevés, où des groupes de personnes fonctionnent comme des organismes géants, la culture d’un groupe devient la personnalité du géant.

Le nuage culturel qui nous entoure en tant qu’individus est, pour un géant, un champ d’énergie qui rayonne à travers son corps et colore sa façon de penser et d’agir.

La culture d’un géant affecte également la façon dont il interagit avec les niveaux d’émergence au-dessus de lui, car la culture dominante de chaque géant détermine comment il joue avec les autres géants, et vers quels types de géants il gravitera.

Avec tout cela à l’esprit, retournons maintenant au monde des croyances humaines.

Nous avons passé le dernier chapitre à penser ici :

UNE personne

Mais la pensée humaine, comme toutes choses humaines, se produit de haut en bas de la Tour d’Émergence – en 3D. L’endroit où nous nous trouvons sur l’Échelle de la Réflexion à un moment donné est affecté par ce qui se passe sur les tranches d’émergence au-dessus de nous – par les géants dont nous faisons partie, et leur position sur l’Échelle de la Réflexion.

Pour la suite de ce billet, nous allons zoomer sur un type de culture spécifique : la culture intellectuelle. Il existe toutes sortes de cultures intellectuelles, mais nous pouvons les classer en deux grandes catégories :

Les Laboratoires d’Idées et les Chambres d’Echos.

Nous savons  tous ce qu’est une chambre d’écho. Un Laboratoire d’idées sera notre terme pour son contraire.

Laboratoire d’idées

Lorsque le Higher Mind contrôle l’intellect d’un seul humain, celui-ci devient un penseur de haut niveau. Lorsqu’un groupe de Higher Minds se regroupe pour prendre en charge la culture intellectuelle d’un groupe de personnes, ils forment ce que nous pouvons appeler un Laboratoire d’Idées. Un Laboratoire d’Idées est une culture intellectuelle où la pensée de haut niveau prospère et trouve facilement un terrain d’expression commun. La culture d’un Laboratoire d’Idées respecte les objectifs intellectuels, les valeurs, préférences et goûts du Higher Mind, et elle voit la pensée, les idées, discussions, débats, les questions et réponses, les informations et connaissances à travers la lentille du Higher Mind. Une communauté de toute taille peut être un Laboratoire d’Idées si la culture intellectuelle de cette communauté est semblable à celle d’un Laboratoire d’Idées.

Examinons maintenant ces deux cultures les deux cultures sous deux angles d’émergence :

1) Le niveau individuel – comment la culture affecte les individus qui en font partie

2) Le niveau du groupe – comment la culture affecte le groupe lui-même, comme un géant de plus grande envergure

Comment les Laboratoire d’Idées affectent les individus

À l’échelle d’une personne, une communauté est un peu comme une micro nation, et en tant que micro nation, un Laboratoire d’Idées ressemble beaucoup à une démocratie libérale. Les deux sont ancrés dans des valeurs : une démocratie libérale typique est fondée sur les valeurs des Lumières comme la liberté et l’égalité des chances ; un Laboratoire d’Idées est centré sur les valeurs des Lumières que sont la vérité et la libre expression. Une démocratie libérale est régie par des règles concernant la façon dont les choses sont faites, et non le résultat final – et ce processus contraignant est décrit dans une constitution. Un Laboratoire d’Idées a aussi un processus contraignant : la méthode scientifique.

À la différence des communautés de scientifiques de métier, la plupart des communautés en interaction avec le monde réel ne se réduisent pas à la recherche de la vérité. Elles n’utilisent donc pas la méthode scientifique au sens strict, mais leur culture intellectuelle est imprégnée de ses principes 

Cela rend le système d’attribution de valeur d’un Laboratoire d’Idées assez simple – un type cool est au service de la vérité, un nul ne l’est pas. Quelques exemples :

Les Laboratoires d’Idées aiment la pensée indépendante. Les membres d’un laboratoire d’idées sont intéressés par ce que vous avez à dire s’ils jugent que vous pensez par vous-même, et ils se mettront à vous ignorer s’ils soupçonnent que vous avez tendance à répéter simplement ce que vous avez entendu d’une source extérieure. En effet, les penseurs indépendants ont tendance à respecter les autres penseurs indépendants et trouvent les penseurs dogmatiques de bas étage transparents et ennuyeux. Mais il y a aussi des raisons pratiques. Un penseur indépendant, quel que soit son point de vue, est un cerveau fécond, qui apporte quelque chose d’original au système. Un dogmatique qui se contente de régurgiter les mêmes points de vue, sans pensée critique indépendante, apporte peu.

Les Laboratoires d’Idées aiment la diversité intellectuelle. Un Laboratoire d’Idées est un lieu de pluralisme intellectuel. C’est un marché miniature d’idées où coexistent des points de vue multiples et variés. Les penseurs de haut niveau savent que la diversité culturelle est une qualité centrale pour leur communauté : elle fournit à cette dernière nombre des pièces du puzzle intellectuel qui lui permettra de trouver la vérité. Sur les sujets où tout le monde semble d’accord, les membres d’un Laboratoire d’Idées auront l’instinct de soumettre le consensus à des idées contraires, se faisant l’avocat du diable. Les avis contraires réfléchis sont valorisés parce que le groupe comprend implicitement que l’évolution de la connaissance fonctionne comme l’évolution de la vie. Ce n’est que par des mutations que l’évolution se produit. Dans le monde naturel, un mutant est une anomalie biologique. Dans un Laboratoire d’Idées, les penseurs audacieux, excentriques et à contre-courant – des anomalies intellectuelles – sont considérés comme des innovateurs critiques qui fournissent des idées mutantes à la communauté.

La corde raide de l’humilité, zone privilégiée des penseurs des Laboratoires d’Idées.

CONVICTION / SAVOIR ; POINT D'ÉQUILIBRE DE L'HUMILITÉ

Dans un Laboratoire d’Idées, la conviction est utilisée avec parcimonie et prudence – car les niveaux de conviction dans un laboratoire d’idées sont utilisés comme des étiquettes de « degré de certitude ». Plus votre voix est convaincante lorsque vous affirmez une chose, plus vous en dites : « Vous pouvez me faire confiance, c’est la vérité. J’ai soumis cette information à un exigeant travail de vérification, et vous pouvez en toute sécurité et sans plus de test l’incorporer à vos croyances. » Pour les penseurs de confiance d’un Laboratoire d’Idées, la conviction offre aux autres membres un beau raccourci pour l’acquisition de connaissances et leur épargne l’effort et le temps de revérifier ce qui a déjà été testé.

J’ai toujours été un fan de ce dessin animé qui explique ce que sont les volts, les amplis et les ohms. [footnote2]Après une recherche minutieuse et infructueuse, cela semble être un de ces visuels qui a tellement circulé qu’il est impossible d’en trouver la source originale. Si vous la connaissez, envoyez nous là par mail. AJOUT : Un lecteur m’a envoyé ce fil Reddit, qui suggère que l’image faisait originellement partie du livre d’instruction de ce produit improbable.[/footnote2]

Dans les communautés, l’information circule de la même façon. Les ampères sont les informations. Les volts sont la conviction. Et les ohms sont le scepticisme.

Scepticisme ; conviction ; informations
Scepticisme ; conviction ; informations

Dans un Laboratoire d’Idées, ce système vise à faire entrer la vérité et à faire sortir les conneries. Dans un bon réseau de confiance, le personnage Scepticisme (c’est-à-dire le Videur de Croyances) peut faire confiance au personnage Conviction, ce qui peut épargner à chacun beaucoup de  travail. Lorsqu’un penseur de haut niveau aux idées éprouvées exprime l’information avec beaucoup de conviction, l’auditeur abaissera les ohms de sa résistance sceptique sans trop y réfléchir.

D’autre part, une conviction fausse et non éprouvée représente une grave infraction dans un Laboratoire d’Idées. La conviction d’une source fiable ouvre un chemin clair directement dans l’espace intellectuel le plus sacré de quelqu’un : ses croyances. Et lorsque la conviction de celui qui présente l’information est utilisée de manière négligente, elle infecte les croyances de celui qui la reçoit avec des idées fausses, des biais et des inexactitudes – les toxines du Laboratoire d’Idées – comme le fait de nourrir quelqu’un avec des aliments qui le rendront malade, une gaminerie totalement anti-cool – et le Laboratoire d’Idées vous punira en vous attribuant un échelo plus bas (depuis lequel vous pensez sur l’Échelle de la Réflexion) et en nuisant à votre réputation, vous désignant comme celui qui crie au loup. Vous faire prendre à abuser de la conviction montre que vous perdez la capacité de communiquer de façon crédible votre degré de certitude lorsque vous dites quelque chose – parce que les gens sauront que vous avez des antécédents peu fiables. Par la suite, lorsque vous augmentez le voltage et que vous exprimez une conviction, les auditeurs la prendront avec des pincettes, affineront le filtre du scepticisme et ressentiront le besoin de vérifier davantage vos propos.

Pour toutes les mêmes raisons, l’humilité génère un grand respect dans un Laboratoire d’Idées – où « je ne sais pas » est une chose très cool à dire. Les gens d’un Laboratoire d’Idées sont des penseurs de haut niveau, ils savent donc que la connaissance est difficile. Ils savent que le monde est un endroit brumeux et incroyablement complexe, et ils sont bien conscients que chaque humain en sait finalement peu. Donc l’humilité est considérée comme une preuve d’honnêteté et de conscience de soi, une preuve que vous « comprenez ». Une réputation d’humilité vous rend intellectuellement puissant dans un Laboratoire d’Idées – parce que lorsqu’une personne habituellement humble exprime une conviction, cela donne un poids énorme à sa parole et toutes les oreilles se dressent.

Les Laboratoires d’Idées adorent les disputes. La vérité est une valeur sacrée dans un Laboratoire d’Idées, et les idées elles-mêmes sont considérées comme de simples pièces de puzzle à utiliser à son service. Les Laboratoires d’Idées traitent toutes les croyances comme des travaux en cours, et considèrent qu’un débat est non seulement amusant, compétitif et stimulant intellectuellement, mais aussi un exercice utile pour tous ceux qui y participent, car ils savent que vous ne pouvez accéder à la connaissance qu’en testant rigoureusement vos hypothèses. C’est pourquoi les Laboratoires d’Idées sont des cultures de remise en question, de débat et d’argumentation. Ces valeurs signifient qu’un Laboratoire d’Idées se transforme en un marché d’idées miniature, un endroit où aucune idée n’est à l’abri. Dans un Laboratoire d’Idées, les idées sont censées être critiquées, et non respectées ; on doit les disséquer, et non les dorloter. Mais l’agressivité ne tombe jamais sur les penseurs – les débats sont souvent tendus, mais ils ne deviennent pas personnels. Comme condition nécessaire à la recherche de la vérité, les personnes dans un Laboratoire d’Idées peuvent exprimer en toute sécurité le point de vue qu’elles veulent.

Passer du temps en tant que citoyen de la mini-nation qu’est un Laboratoire d’Idées – que ce soit lors de dîners avec votre conjoint, de discussions en classe, de réunions de club de lecture, de conversations écrites, de longs échanges sur les fils de discussion Reddit, ou n’importe où ailleurs – vous rend plus intelligent. Cela vous montre où se trouvent les lacunes dans vos connaissances ; cela vous donne accès à un réseau de confiance intellectuelle qui vous inonde d’informations nouvelles et précises ; cela vous présente une variété de perspectives ; cela vous apprend à juger efficacement les idées et les revendications des autres. C’est un entraînement intellectuel constant qui vous permet de garder un esprit aiguisé.

Mais plus important encore, un Laboratoire d’Idées vous aide à mener le bon combat dans votre propre tête. Peu importe à quel point vous êtes un bon penseur, votre intellect sera toujours dans une bataille contre la pesanteur sur le Spectre Psychique. Même si vous apprenez à bien utiliser votre Higher Mind, votre Primitive Mind, n’abandonnant jamais, est toujours à la recherche d’une faille – telle insécurité personnelle, tel attachement émotionnel, tel bagage psychologique persistant de votre passé – comme une occasion de reprendre le volant.

Personne ne pense comme un scientifique confirmé à plein temps. Le plus souvent, après un bref passage sur l’échelon supérieur pendant une période particulièrement lucide et humble, on commence à aimer un peu trop les nouvelles épiphanies que l’on a glanées là-haut et on descend rapidement sur l’échelon des Supporters Sportifs. Et c’est ok. Il est peut-être même optimal d’avoir un peu trop confiance en notre vie intellectuelle. S’enraciner dans ses idées – une nouvelle philosophie, un nouveau choix de style de vie, une nouvelle stratégie d’affaires – nous permet de les essayer vraiment, quelque peu libérés du récurrent « En es-tu vraiment sûr?” du Higher Mind.

L’échelon de Supporter en soi n’est pas un problème – d’autant plus que, tout comme les supporters qui acclament dans un stade savent au fond d’eux-mêmes que leur dévotion est un peu idiote, il y a quelque part derrière le brouillard de la confiance d’un Supporter la conscience de soi d’un Higher Mind encore bien présent. Le problème, c’est qu’inviter du brouillard dans l’équation, c’est un peu comme fermer les yeux une minute ou deux de plus après avoir éteint votre réveil pour de bon – c’est plus risqué que ça en a l’air. Éviter de trop s’attacher émotionnellement à ses idées est un bon moyen pour éviter de dériver inconsciemment vers la Terre des Convaincus et l’oubli des bidonvilles intellectuels des bas-fonds. Étant programmés pour être de mauvais penseurs, l’arrogance est un danger permanent.

Les Alcooliques Anonymes sont un réseau de soutien du Higher Mind, où un groupe de personnes souffrant d’une maladie – l’animal dans lequel ces personnes vivent, est obsédé par la consommation d’alcool et ruine leur existence – peuvent se réunir et s’entraider pour mener le bon combat. Un Laboratoire d’Idées, c’est la même chose pour notre intellect – les Dogmatiques Anonymes.

Ce que vous pensez / Comment vous pensez

Les membres des Dogmatiques Anonymes s’empêchent de tomber trop bas sur l’Echelle de la Réflexion. 

La pression sociale aide : s’il est considéré comme cool de penser avec votre Higher Mind, vous êtes plus susceptible de le faire.

Et la pression intellectuelle aide aussi : Si les gens qui vous entourent sont assez bons pour remarquer que vous êtes partial, hypocrite, crédule ou sélectivement insatisfait – et s’ils sont culturellement encouragés à vous le faire remarquer – vous êtes moins susceptible de vous entêter, emmuré dans vos convictions erronées. Dans un Laboratoire d’Idées, la pièce est généralement trop bien éclairée pour que le Primitive Mind puisse s’en tirer en douce.

Lorsque vous passez suffisamment de temps dans un Laboratoire d’Idées, l’humilité et la conscience de soi vous sont infligées, que cela vous plaise ou non. Lorsque vous vous laissez dériver vers le haut du graphique Connaissance-Conviction, la culture du Laboratoire d’Idées vous  ramène vers la corde raide. 3

CONVICTION / SAVOIR

Ou, dépeint de façon beaucoup plus amusante : Les gens dans un laboratoire d’idées sont comme cet écureuil qui essaie d’atteindre une mangeoire à oiseaux, et la culture du Laboratoire d’Idées « graisse le poteau de l’arrogance ».

Toutes ces forces se combinent pour faire d’un Laboratoire d’Idées un grand aimant au sommet de notre échelle.

Ce que vous pensez / Comment vous pensez

Nous n’avons pour le moment évoqué les avantages du Laboratoire d’Idées que du point de vue de ceux qui en font partie. En attirant notre attention vers le haut de la Tour d’Émergence, une communauté commence à ressembler moins à une micro nation de personnes qu’à un organisme géant à part entière – nous voyons alors à quel point la culture du Laboratoire d’Idées peut être puissante.

Comment les Laboratoires d’Idées affectent les groupes

Un Laboratoire d’Idées est un penseur géant, de haut niveau, avec une intelligence surhumaine. Au mieux, c’est le Scientifique ultime. Le mini-marché d’idées du groupe est le cerveau du géant, les cerveaux de ses membres en sont les neurones.

Ce système unifié, constitué d’une multitude d’esprits individuels, est de loin supérieur à la somme de ses membres en termes d’apprentissage de nouvelles choses et de capacité à séparer la vérité de la fiction. Si l’esprit d’un seul penseur de haut niveau est un outil de recherche de la vérité, l’esprit du géant d’un Laboratoire d’Idées est une usine de recherche de la vérité.

Au lieu d’un seul Videur de l’Attention, lié aux limites de son temps et l’étendue de sa curiosité, l’organisme du Laboratoire d’Idées dispose d’une équipe de Videurs de l’Attention qui importent des informations.

Au lieu qu’un seul Videur de Croyances fasse tout son possible pour juger de l’exactitude des informations, le géant Laboratoire d’Idées possède  un escadron de Videurs de Croyances postés devant la porte des croyances communément acceptées par la communauté. Pour passer la porte, une hypothèse ou une information doit passer devant chacun des Videurs. Même si une fausse croyance parvient à duper la plupart des membres de la communauté, il suffit que le Videur de Croyances d’une seule personne découvre qu’elle est fausse pour que tous l’apprennent. Les croyances des penseurs de haut niveau sont toujours prêtes à être modifiées – c’est donc un processus efficace qui laisse peu d’espoir aux mauvaises informations.

Au lieu qu’un seul Enquêteur construise des hypothèses à partir d’informations éparses, le Laboratoire d’Idées rend cette construction collaborative. Dans ce contexte critique où les membres disent ce qu’ils pensent vraiment, la démarcation entre la formulation et la vérification des hypothèses s’estompe. Lorsque la dialectique et le débat sont au cœur d’une culture intellectuelle, les nouvelles idées sont testées au fur et à mesure qu’elles se forment, en temps réel. On passe du processus de construction des connaissances en plusieurs étapes du penseur individuel de haut niveau à un processus dynamique unique.

En tant qu’organisme géant, un Laboratoire d’Idées est un parfait exemple d’émergence : un système qui est bien plus que la somme de ses parties.

Le géant Laboratoire d’Idées est un organisme qui transforme les informations brutes en connaissances et en sagesse. Son système immunitaire est spécialiste de la distinction entre vérité et fiction et il élimine toutes les toxines qui peuvent nuire à la fabrication du savoir, comme les mensonges et les préjugés. 

L'usine à connaissance du laboratoire d'idées : info ; système immunitaire contre les idées fausses ; filtres à biais et erreurs ; savoir

L’une des propriétés les plus intéressantes d’un Laboratoire d’Idées est sa capacité à interagir avec d’autres Laboratoires d’Idées et à se fondre avec eux pour former des Laboratoire d’Idées plus grands. Prenons l’exemple le plus simple : deux couples.

Pour continuer à exploiter les Johnson de la première partie, imaginons que dans leur vie de couple, ils ont développé une forte culture intellectuelle de haut niveau. À eux deux, ils forment un petit Laboratoire d’idées – deux esprits collaborant à vie pour avoir un peu moins tord et être un peu moins bêtes. Ils ne sont jamais d’accord, mais leurs oppositions intellectuelles ne s’enveniment pas.  L’ardeur des débats est ponctuée de taquineries et teintée de bonne humeur.  Comme tous les humains, les deux sont attirés vers le bas de l’Échelle de la Réflexion, mais ils s’efforcent de rester honnêtes l’un envers l’autre, et ont l’habitude de changer d’avis quand l’autre présente une idée plus pertinente – c’est une “aubaine” intellectuelle.

Maintenant, imaginons qu’ils reçoivent à dîner leurs voisins d’à côté, les Smith.

Les Smith / Les Johnson

Les Smiths sont aussi un couple du type Laboratoire d’Idées. Très vite, le dîner prend la forme d’une conversation riche, pleine d’idées originales et de pensée critique, car les deux Laboratoires d’Idées de deux personnes fusionnent en un Laboratoire d’Idées de quatre personnes. La table du dîner devient un marché d’idées de quatre personnes, avec deux fois plus de connaissances, deux fois plus de diversité intellectuelle, deux fois plus de Videurs et d’Enquêteurs aux yeux perçants à leur service. L’échange se prolonge pendant des heures après la fin du repas et tout le monde repart en se sentant un peu plus intelligent qu’avant. Les deux couples aux valeurs intellectuelles de haut niveau ont passé un bon moment, appréciant l’explosion de pensée critique qui s’est invitée à leur table.

En somme, c’est que les Laboratoires d’Idées sont micro-divisés, et macro-unifiés. À l’échelle micro, les laboratoires d’idées et les personnes qui y travaillent sont souvent en désaccord – c’est la composante de la diversité intellectuelle.

À l’échelle macro, tous les Laboratoires d’Idées sont largement unis par un ensemble commun de valeurs intellectuelles – la conscience partagée de tous d’être dans une même quête de vérité.

Cela permet aux Laboratoires d’Idées de toutes tailles de se combiner ensemble aussi facilement que les Johnsons et les Smiths. On peut passer de deux à quatre en s’asseyant autour d’une table. Six amis d’université composant un Laboratoire d’Idées peuvent intégrer un Laboratoire de 50 étudiants, ce qui est le cas lorsqu’ils rejoignent l’un des nombreux clubs universitaires de Bridge USA  réseau dédié à la diversité idéologique. Les départements scientifiques de haut niveau peuvent « faire équipe » avec d’autres départements critiquant leurs résultats mutuels.

Encore plus haut dans la Tour d’Émergence, chaque Laboratoire d’Idées aux États-Unis est un petit morceau du grand Laboratoire d’Idées américain – le marché américain des idées -, chacun d’eux fait office de petite poche de tissu neural dans le cerveau géant du pays. Aux États-Unis, l’effort conjoint de centaines de milliers de Laboratoires d’Idées de toutes formes et de toutes tailles génère ce grand et brillant globe de lumière qu’est le Higher Mind géant de la nation.

Le marché des idées américain est lui-même un des lobes de tissu contenus dans le plus grand Laboratoire d’Idées de tous – le cerveau super-géant collectif de tous les penseurs humains de haut niveau. Grâce à un méga-réseau mondial de Laboratoires d’Idées de toutes tailles, chaque penseur humain de haut niveau est capable de se relier au cerveau géant de l’espèce en tant que simple petit neurone.

Les Laboratoires d’Idées peuvent se fondre les uns aux autres sans effort, car le seul ciment nécessaire pour les relier est un simple ensemble de valeurs intellectuelles de haut niveau, toutes centrées sur une mission commune :  se rapprocher de la vérité.

Voilà où Thomas Paine voulait en venir quand il disait :[footnote2]Letter to the Abbe Raynal, 1782.[/footnote2]

La science, partisane d’aucun pays, mais patronne bienfaisante de tous, a généreusement ouvert un temple où tous peuvent se rencontrer. Le philosophe d’un pays ne voit pas d’ennemi dans le philosophe d’un autre pays : il prend place dans le temple de la science, et ne demande pas qui s’assied à côté de lui.

Les Laboratoires d’Idées sont géniaux parce qu’ils sont géniaux à tous les niveaux d’émergence.

Ils sont excellents au niveau individuel. L’individu est valorisé, les personnes sont respectées et les communautés sont des espaces sûrs où partager ses idées, sans crainte de conséquences négatives. Un Laboratoire d’Idées est une mini-nation stimulante pour un citoyen. Passer du temps dans un Laboratoire d’Idées vous rend plus intelligent, plus sage, plus humble, plus réaliste, et vous aide à élever votre combat intérieur.

Les Laboratoires d’Idées sont excellents au niveau de la communauté. Les mêmes personnes qui sont encouragées à conserver leur pleine individualité à un bas niveau d’émergence peuvent aussi profiter des avantages d’être une cellule dans un système plus grand et super-intelligent, avec tous les avantages sociaux et communautaires qui vont avec.

Les Laboratoires d’Idées sont excellents au niveau national et transnational. Nous devons remercier les Laboratoires d’Idées à l’origine de la tour de connaissance collective que notre espèce a construite, pour l’élévation de notre psychologie, et pour le développement de notre clarté philosophique croissante.

Peut-être plus important encore, les Laboratoires d’Idées permettent de concrétiser un droit fondamental :

Le Puzzle de la Liberté d’Expression

Étant donné que la culture des Laboratoires d’Idées s’inscrit naturellement dans l’esprit plus large de la constitution américaine, on pourrait supposer qu’à minima les Laboratoires d’Idées sont la norme dans un pays comme les États-Unis – mais ce n’est pas le cas. Les États-Unis ont été construits pour donner une chance à l’outsider qu’est le Higher Mind, mais ils n’ont pas été construits pour imposer les idéaux du Higher Mind à tout citoyen. Ce faisant, on violerait la prémisse fondamentale du pays : la liberté par rapport à un régime autoritaire. La Constitution place ses citoyens dans un environnement où ni le gouvernement, ni les autres citoyens ne sont autorisés à empiéter sur le droit de tout citoyen à vivre dans un environnement de haute qualité. Mais comme dans le cas du pouvoir, de la richesse et de la poursuite du bonheur, la Constitution n’offre que la possibilité de jouir des idéaux des Lumières, et non une garantie de ce genre de vie. Aux États-Unis, vous êtes libre au point d’avoir la liberté de ne pas être libre, si tel est votre choix.

Nous pouvons appliquer cela au monde du discours. La réalité est que si tous les Américains vivent sous la protection du Premier Amendement, beaucoup n’expérimentent pas la liberté d’expression. Le juriste constitutionnel Greg Lukianoff souligne cette distinction : [footnote2]Greg Lukianoff: Freedom From Speech.[/footnote2]

Bien qu’ils soient souvent utilisés de façon interchangeable, le concept de liberté d’expression et le premier amendement (de la Constitution des États-Unis) sont différents. Alors que le premier amendement protège la liberté d’expression et la liberté de la presse en ce qui concerne les devoirs de l’État et le pouvoir de l’État, la liberté d’expression est une idée beaucoup plus large qui inclut des valeurs culturelles supplémentaires. Ces valeurs intègrent des habitudes intellectuelles saines, telles que donner à l’autre partie une audience équitable, s’abstenir de juger, tolérer les opinions qui nous offensent ou nous mettent en colère, croire que chacun a droit à sa propre opinion, et reconnaître que même les personnes dont les points de vue nous répugnent peuvent avoir raison (au moins partiellement). Au cœur de ces valeurs se trouve l’humilité épistémique – une façon fantaisiste de dire que nous devons toujours garder à l’esprit que nous pourrions nous tromper ou, du moins, que nous pouvons toujours apprendre quelque chose en écoutant l’autre.

La liberté d’expression, comme tout privilège des Jeux de Valeur, exige que le gouvernement et la culture soient de la partie. La Constitution des États-Unis rend possible la liberté d’expression, mais ce n’est que dans une culture appropriée que cette liberté se concrétise.

Appliquons cette idée aux t-shirts. La Constitution donne à tous les citoyens le droit de se promener en public vêtus de t-shirts. En ce qui nous concerne, il pourrait tout aussi bien y avoir un amendement sur les t-shirts qui protège ce droit pour tous les citoyens (le droit d’exposer ses  bras nus ?). Mais si je vis dans une communauté où l’une des croyances culturelles implicites est que le port du t-shirt est malfaisant – et quiconque le fait risque d’être banni de façon permanente – je ne vais pas me promener en t-shirt. Bien sûr, l’amendement sur les t-shirts signifie que je ne peux pas être emprisonné par le gouvernement pour avoir porté un t-shirt, mais ma vie sociale entière serait détruite en le faisant, ce qui représente une peine non moins terrible. Le fait d’être profondément investi dans une communauté permet à la culture de cette communauté de passer outre mes droits constitutionnels de manière essentielle. La jouissance effective d’un droit constitutionnel repose sur l’appartenance à une communauté qui est d’accord avec la Constitution à ce sujet.

De même, dans le cas de cultures imposant elles-même de sévères sanctions à qui exprime les « mauvaises » vues,  la liberté d’expression, de même que le marché des idées, sont moribonds. C’est pourquoi les Laboratoires d’Idées sont si importants. Ils adhèrent pleinement à la valeur de la liberté d’expression – ils la considèrent comme un don constitutionnel et en font un mode de vie. La culture du Laboratoire d’Idées est la deuxième pièce essentielle qui complète le puzzle de la liberté d’expression.

Le puzzle de la liberté d'expression : Lois protectrices de la liberté d'expression ; Culture valorisant la liberté d'expression

Si le Laboratoire d’Idées était la seule culture intellectuelle qui existe, l’existence humaine serait probablement plus simple. Mais les Laboratoires d’Idées ne sont pas la seule culture intellectuelle humaine, car le Higher Mind n’est pas la seule composante de l’esprit humain. Les concepts libéraux comme la liberté d’expression sont des constructions tout à fait artificielles, et peu importe où ils existent, ils seront toujours les outsiders, luttant constamment contre la pesanteur de la nature humaine.

Certaines personnes réussissent à passer la plupart de leur temps dans les petites poches de culture de type Higher Mind qui ont réussi à subsister dans l’immense océan primitif. Mais beaucoup d’entre nous n’ont pas cette chance. L’homme typique d’aujourd’hui, dans le monde entier en général et aux États-Unis en particulier, passe sa vie au sein de communautés culturellement dépassées.

Chambres d’Echos

Imaginez que vous venez d’avoir votre premier bébé. Super excitant, non ?

Et chaque jour, quand vous regardez votre bébé, vous n’en revenez pas de le voir si mignon.

Les bébés sont forts  pour être mignons. C’est l’une des seules choses pour lesquelles ils sont doués.

Le hic, c’est le bébé sur 5 ou 6 qui échoue. Le Bébé moche. Nous en connaissons tous.

J’ai remarqué un drôle de schéma : quand je parle aux parents du Bébé Moche, ils ne semblent pas le réaliser..

En fait, le Primitive Mind est en train de leur jouer un tour. Quand vous avez un bébé, votre Primitive Mind sait que, mignon ou pas, le bébé doit survivre pour accomplir sa mission génétique, et il est essentiel que sa survie devienne l’obsession de ses parents

Disons que votre bébé ressemble à ça :

Vous ne vous en rendrez jamais compte, car en regardant le bébé, la fumée hallucinatoire du Primitive Mind vous fera voir ce qu’il veut que vous voyiez.

Voilà pourquoi tout un chacun pense que son bébé est super mignon.

Maintenant, imaginons la visite d’un couple d’amis.

« Merci de nous recevoir ! » ; « Nous aimerions faire la connaissance de votre bébé ! » ; « Bien sûr ! »
« Notre bébé est tellement mignon ! »
« Whaouh ! C'est vrai qu'il est drôlement mignon! » ; « Je suis d'accord »
« D'ailleurs, on l'a appelée Belle. Super, non ? » ; « Oh oui ! Super idée ! »

Le bébé est l’objet le plus sacré d’un couple. Tous ceux qui leurs rendent visite le savent – ils suivent donc le courant et confirment sans réserve l’illusion des parents.

Lorsqu’une culture considère qu’un objet est sacré, elle s’imprègne d’un ensemble implicite de règles sociales très strictes sur la façon dont cet objet doit être traité. Faire l’éloge de l’objet vous garantit la coolitude, alors qu’en dire du mal équivaut à un inexcusable blasphème. Quand un sujet cesse d’être critiquable par une culture, celle-ci devient, en ce qui concerne le sujet donné, le contraire d’un Laboratoire d’Idées: une Chambre d' »Écho »

Cela ne signifie pas que la culture devient une Chambre d’Écho à temps plein – elle peut être un Laboratoire d’Idées classique la plupart du temps et basculer de l’autre côté lorsque la conversation tourne autour d’un sujet particulier. Si vous êtes un supporter (réel, pas métaphorique), vous êtes bien habitué à ce genre de situation.

« Ce film est super ! »
« Non, il est nul. » ; « Ha ha ! Je te dis qu'il est super ! » [par terre : IDÉE]
« Je déteste la glace »
« T'es fou ! C'est la rolls des glaces ! »
« Allez les Packers ! »

Toute famille supporter de longue date des Packers devient une Chambre d’Écho dès qu’on parle des Packers. Ils peuvent discuter avec plaisir de tout le reste, y compris des sujets liés aux Packers (par exemple : « Sont-ils assez bons pour faire les éliminatoires cette année ou non ? »), mais à la question  « qui êtes-vous en train de soutenir dans ce jeu ? », toute réponse autre que « les Packers » est un blasphème. Les Packers sont le bébé sacré de la maison, et tout le monde a intérêt à le trouver mignon.

Pourquoi certains objets ou idées deviennent-ils donc sacrés pour certains humains et certaines cultures ?

Comme nous l’avons vu dans les chapitres précédents, nous avons ici affaire à une question d’identité. Chaque humain est une personnalité unique, incroyablement complexe, fluide et en constante évolution – et pour le Higher Mind, c’est une identité plus que suffisante. Mais le Primitive Mind ne comprend ni la complexité ni le caractère unique de chaque individu, il perçoit donc votre moi intérieur comme une page blanche. Une non-identité. Il a besoin d’y introduire des éléments extérieurs explicites et tangibles qu’il comprend – symboles, ressources, profession, nom de famille, statut, religion, ethnicité, affiliation politique, nationalité, ville natale, université, groupe social, goûts musicaux, bref, tout ce qui donne un sentiment de sécurité à son logiciel basique.  

Le Primitive Mind n’ayant de cesse de vous voir vous fondre dans un géant, il cherchera à customiser votre identité par des accessoires qui vous ancrent du même coup au sein d’un groupe. Il s’accroche à tout élément lui permettant de vous définir tout en identifiant votre tribu d’appartenance

Le soutien du supporter à son équipe est un marqueur classique d’identité du Primitive Mind parce qu’il coche beaucoup de ces cases. Il est clair et net. Il est en lien avec d’autres marqueurs comme la ville natale et la nationalité, voire,  dans le cas de la coupe du monde, la nationalité ou le groupe ethnique. Il vous rapproche de tous ceux qui aiment la même équipe. Vous pouvez même porter un uniforme aux belles couleurs de ce gentil Nous, pour soutenir l’équipe face aux méchants Eux et leurs méchants supporters qui viennent de leur méchante ville et qui portent leurs vilaines couleurs. 

Si nous ne comprenions pas le Primitive Mind, nous pourrions trouver étrange qu’un groupe de personnes peu sportives, en survêtement dans leur canapé crient “On a gagné !” quand un groupe de sportifs professionnels qu’ils ne connaissent pas gagne un match auquel ils n’ont pas participé. Mais pour le Primitive Mind, les athlètes et le jeu sont juste un prétexte pour ce qui compte vraiment – se relier aux autres.  Le Primitive Mind est si bien programmé pour se lier aux autres que le simple fait de soutenir la même équipe vous permet de ne faire qu’un avec un parfait inconnu – comme la fois où, lors d’un match éliminatoire des Red Sox, j’ai serré dans mes bras un grand type à l’aspect menaçant, que je ne connaissais ni d’Eve ni d’Adam.

Revenons-en à notre famille de fans des Packers. Quand le fils a choisi de supporter une autre équipe, il a juste dit  « Tout compte fait, je supporte les Vikings. » Mais ce que les Primitive Minds de sa famille ont entendu, c’est une cascade de trahisons, de haut en bas de la Tour d’Émergence.

Une personne ; dizaines de personnes ; milliers de personnes ; centaines de milliers de personnes; dizaines de millions de personnes ; 7.5 milliards de personnes Ce que le fait d'être supporter des Packers signifie pour les membres de la famille : « Un bon américain est loyal à sa ville d'origine » ; « Un Wisconsinois fier de ses origines est forcément un supporter des Packers » ; « Être supporter des Packers est une tradition familiale » ; « être un fan des Packers fait partie de mon identité » Ce à quoi le fait de ne pas être supporter des Packers fait écho pour les membres de votre famille : « Je ne suis pas un bon américain » ; « Je ne suis pas fier de mes origines wisconsines » ; « Je ne me reconnais pas en "nous" » ; « Je ne suis pas comme vous »

Il a violé un objet sacré – mais en réalité, il a violé les fondement d’unité et de sécurité selon les Primitive Minds des membres de sa famille.C’est pour remplir ce rôle que l’équipe favorite était devenue sacrée.

 

Pour autant, le fait en soi de soutenir une équipe n’est pas un problème car il ne nuit en général à personne – c’est une sorte de jeu de rôle tribal. Jonathan Haidt y fait référence quand il fournit l’analogie : « Le sport est à la guerre ce que la pornographie est au sexe. »[footnote2]From Haidt’s TED Talk The moral roots of liberals and conservatives[/footnote2] Le fait d’être supporter d’une équipe permet d’assouvir des pulsions tribales primitives – ce que vous pouvez constater à chaque fois que des fans triomphants lèvent instinctivement les bras comme une tribu de singes conquérants, ou quand des fans au coeur brisé se couvrent la tête et le visage comme des singes attaqués. Mais ils peuvent assouvir ces pulsions sans partir en guerre. Les amateurs de sport,  savent au fond que tout cela n’est qu’un jeu, ce qui fait que la Chambre d’Écho construite autour du sport est inoffensive.

Ce n’est pas le cas de toutes les chambres d’écho.

Les Chambres d’Écho deviennent problématiques, et même dangereuses, lorsqu’elles ne s’accompagnent pas d’une conscience de soi profonde ; lorsque l’objet sacré est plus sacré que le bien-être des gens ; lorsque le tribalisme qu’elles génèrent ressemble plus à la guerre et moins au sport. Nous voyons souvent ce genre de Chambre d’Écho dans le monde de la religion, de l’ethnicité, de la race, du nationalisme, de l’économie et, comme nous le verrons dans la prochaine partie de cette série, de la politique.

Retournons au pays de la 3D et regardons de plus près.

Comment les Chambres d’Écho affectent les individus

Pour comprendre le fonctionnement des Chambres d’Écho, il suffit de penser au fonctionnement des Laboratoires d’Idées, puis d’imaginer le contraire. Par exemple :

Là où les Laboratoires d’Idées sont des cultures de réflexion critique et de débat, les Chambres d’Écho sont des cultures d’accord et de confirmation.

Il y a plusieurs raisons à cela :

Tout d’abord, cela découle d’une distinction fondamentale entre la façon dont les deux cultures voient les idées. Les Laboratoires d’Idées considèrent les gens et leurs idées comme des entités distinctes – le respect des dû aux gens, pas aux idées. Dans les Chambres d’Écho, les idées d’une personne font partie de son identité, par conséquent le respect d’une personne et le respect de ses idées sont une seule et même chose. Alors que les gens dans un laboratoire d’idées se disputent entre eux pour le plaisir, le fait d’être en désaccord avec quelqu’un dans une culture d’approbation est considéré comme une impolitesse, et une discussion animée sur des idées dans une Chambre d’Écho est indissociable d’une dispute. Pour donner un aspect visuel, la culture des Laboratoires d’Idées considère l’approbation et la décence comme des axes distincts et sans rapport, tandis que la culture des Chambres d’Écho considère l’accord et la décence comme un seul axe :

… dans un Laboratoire d'Idées ; ACCORD / BIENSÉANCE ; Personne sympa qui n'est pas d'accord avec moi / personne sympa qui est d'accord avec moi ; trouduc' qui n'est pas d'accord avec moi / trouduc' d'accord avec moi … dans une Chambre d'Écho : ACCORD / BIENSÉANCE ; Personne sympa / trouduc'

Deuxièmement, les Chambres d’Écho sont consacrées à des idées spécifiques. Alors que la constitution de la mini-nation du Laboratoire d’Idées est consacrée à une manière de penser, une Chambre d’Écho est un temple d’idées dont la constitution est un ensemble de croyances elles-mêmes sacrées.

Constitution du Laboratoire d'Idées : A (Je ne sais pas) → processus de formation de la croyance → B (Je sais) Constitution de la Chambre d'Écho : A (Je ne sais pas) → processus de formation de la croyance → (Je sais)

La quête de connaissance et de vérité du Laboratoire d’Idées devient la quête de confirmation de l’histoire sacrée de la communauté de la Chambre d’Écho.

Le fait de passer de la recherche de la vérité à la confirmation des croyances fait basculer un tas d’autres valeurs dans leurs contraires.

La diversité intellectuelle du pluralisme du Laboratoire d’Idées est une menace majeure pour une Chambre d’Écho, qui la remplace par l’uniformité intellectuelle du purisme. Pour les mêmes raisons, les Chambres d’Écho n’aiment pas les mutants intellectuels – la pensée indépendante est mal vue dans une Chambre d’Écho, où le respect de la pensée collective de groupe tend à être beaucoup mieux accepté.

En attribuant les Évaluations d’Échelon, les Chambres d’Écho ne se préoccupent que de ce que vous pensez, pas de la façon dont vous êtes arrivé là, en basant les jugements non pas sur l’exactitude mais sur votre fidélité aux idées sacrées.

Les incitations culturelles suivent le même chemin. L’air ambiant orange chargé d’électricité vers le bas d’une chambre d’écho, comme l’air ambiant bleu-vert chargé d’électricité vers le haut d’un Laboratoire d’Idées, administre des récompenses d’acceptation, d’approbation et de respect, et des électrochocs de critique, de ridiculisation, de honte et d’ostracisme – mais le critère des incitations est presque exactement le contraire.

Dans une culture de Chambre d’Écho, qui considère la connaissance comme facile et évidente, la conviction est considérée comme un signe de connaissance, d’intelligence et de droiture (en supposant, bien sûr, que vous ayez les bons points de vue). Elle est socialement récompensée par le respect et la déférence. L’humilité, par contre, est méprisée dans une Chambre d’Écho, où dire « je ne sais pas » vous fait seulement paraître stupide et ignorant. Si vous changez trop d’avis dans une chambre d’écho, vous vous retrouvez avec des étiquettes négatives, comme « inconsistant”, “versatile” et “indécis”.

Les idées sacrées d’une Chambre d’Écho sont comme le nouveau-né de la communauté et la meilleure façon d’exprimer à la fois votre allégeance à la communauté et de prouver votre propre valeur intellectuelle et morale est de dire que le bébé est mignon, avec autant de ferveur que possible. En d’autres termes :

signalisation de la vertu

La signalisation de la vertu se présente sous plusieurs formes :

1) Dire à quel point le bébé est mignon (c’est-à-dire à quel point les croyances sacrées de la communauté sont justes)

2) Décrire la laideur des bébés rivaux (c’est-à-dire à quel point les opposants idéologiques de la communauté ont tort)

3) Parler de la grandeur de la communauté elle-même

4) Rappeler combien les communautés rivales sont affreuses

C’est à dire une forme ou une autre de l’énoncé: « Nous sommes justes / savants / intelligents / vertueux  […], Ils sont mauvais / ignorants / stupides… »

L’exposition de la vertu est la façon dont votre Primitive Mind exprime votre appartenance totale au Nous. Alors que la conviction dans un Laboratoire d’Idées exprime votre degré de certitude par rapport à ce que vous dites, la conviction dans une Chambre d’Écho exprime le degré de votre adhésion au Nous. Le bébé n’est pas “un peu mignon”. Il n’est pas “peut-être mignon”. Il est magnifique. Point barre.

Lorsqu’un groupe de personnes exprime son « nous » en même temps, non seulement chacun se sent en sécurité, aimé, accepté et inclus, mais il fournit une énergie qui unit le groupe. Participer à l’une de ces séances – comme nous l’avons tous fait – est un vrai bain de récompense culturelle, sensation aussi jouissive qu’un Skittles fondant dans la bouche. C’est une forme classique de félicité primitive.

Les incitations positives contribuent largement à unifier les points de vue de la Chambre d’Écho – mais dans une communauté soudée par une croyance commune, elles ne suffisent pas. Elles sont donc couplées avec leur complice : le tabou.

Les tabous existent dans un Laboratoire d’Idées, mais il faut dire quelque chose de vraiment extrême pour en violer un – et presque toujours, l’infraction est une attaque contre une personne, pas contre son idée : une insulte raciale mesquine, un coup dégradant, un coup bas méchant. La seule façon pour un penseur respecté par les autres de se faire culturellement zapper par la seule expression d’une idée est d’exprimer un point de vue si inepte qu’il diminue drastiquement l’opinion des gens sur sa capacité intellectuelle.

POINTS DE VUE SUR LE RÉGIME ALIMENTAIRE DES NOURISSONS ; les nourissons ne doivent boire que du soda

L’application excessive du tabou est le fléau de la liberté d’expression, aussi les cultures soutenant la liberté d’expression l’utilisent-elles avec parcimonie. Afin que la Courbe du Discours du Laboratoire d’Idées puisse s’aligner librement avec sa Pile des Pensées.

La nation de type Chambre d’Écho, quant à elle, ressemble plus à Hypothética.

Dans Hypothética, le dictateur, le Roi Moustache, se considérait comme le bébé sacré du pays, et il utilisait le « Bouton Mute » (mode silencieux) pour envoyer des décharges à tout ce qui s’éloignait de l’adoration de sa très-mignonne personne.

LES OPINIONS SUR LE ROI MOUSTACHE : Il faut renverser le Roi Moustache maintenant et je suis prêt à risquer ma vie dans ce but ; Le Roi Moustache est un tyran terrible et j'espère qu'il sera bientôt renversé ; Le Roi Moustache est un mauvais roi mais il est notre roi légitime ; Le Roi Moustache n'est pas parfait mais dans l'ensemble il est un bon roi ; Le Roi Moustache est le plus grand roi de tous les temps

Dans un pays comme les États-Unis, le principe du préjudice empêche les communautés de type Chambre d’Écho d’infliger des sanctions physiques, si bien qu’elles utilisent plutôt le tabou comme bouton mute.

Le tabou est une clôture électrique de censure de la Chambre d’Écho – une force de police qui frappe ses membres d’amendes sociales de baisse de statut ou d’atteinte à la réputation, de peines dans la prison sociale de l’ostracisme, jusqu’à l’exécution sociale qu’est l’excommunication permanente. Quand vous critiquez les points de vue opposés et ceux qui les défendent, vous êtes libre dans une Chambre d’Écho d’être aussi personnel et vicieux que vous le souhaitez – insultes blessantes, attaques humiliantes et vils coups bas. Non seulement ce genre d’expression n’est pas considéré comme tabou, mais c’est un signe de génie moral et intellectuel. Par contre, désapprouvez l’une des croyances sacrées, et vous voilà passé du culte au blasphème, ce qui vous vaudra l’électrocution immédiate.

Un Laboratoire d’Idées constitue un lieu sûr où les personnes sont à l’abri et les idées menacées. Il permet l’exercice d’une forme de résistance dédiée à exalter la vérité et la sagesse, permettant ainsi à l’entité dans son ensemble d’une part, à chacun de ses membres d’autre part, de s’élever intellectuellement et moralement. Le champ de mines des idées tabou d’une Chambre d’Écho en fait un espace sûr et protégé pour les idées qui confirment les croyances sacrées et un espace très dangereux pour les idées – et les gens – qui les infirment. Ce type de résistance a l’effet inverse de celui évoqué plus haut, décourageant les nouvelles idées et l’innovation intellectuelle, réprimant la croissance de la communauté et de ses membres.

Bien sûr, ces deux éléments sont logiques, compte tenu des objectifs culturels. Les penseurs de haut niveau, voulant que leur perception de la réalité change pour se rapprocher de celle-ci, invitent un type de résistance productive. Les penseurs de bas étage veulent que leur perception de la réalité reste inchangée. Ils voient la sécurité non pas comme l’assurance de parler de certaines idées sans danger, mais comme l’assurance de ne pas entendre certaines idées. Se sentant par conséquent mis en danger dans un Laboratoire d’Idées, ils convoquent une résistance de type répressif.

Les démocraties libérales ont été construites pour être des bulles de liberté d’expression dans un monde de censure – des bulles où les Higher Minds pouvaient se regrouper et former des géants à l’esprit élevé, à l’abri de tentatives d’intimidation des Primitive Minds.

LES JEUX DE POUVOIR ; Liberté d'expression ; Démocratie

Les Laboratoires d’Idées sont des communautés nées de cet esprit, profitant pleinement du privilège qui leur est accordé par les constitutions libérales. Mais les Primitive Minds dans nos têtes n’y comprennent rien. Ils fonctionnent sur des logiciels automatisés, incapables de percevoir l’époque à laquelle ils appartiennent ou de comprendre ses valeurs libérales. Quel que soit le pays où ils se trouvent, ils veulent faire ce pour quoi ils ont été programmés : jouer aux anciens Jeux de Pouvoir en se regroupant pour former une sorte de géant à l’ancienne.

Le fait est que les Primitive Minds, aussi simples et irréfléchis soient-ils, peuvent aussi être très innovants. Comme le dit Jeff Goldblum.

« La vie trouve toujours un chemin »

Vous pouvez mettre toutes les contraintes que vous voulez sur les Primitive Minds, certains d’entre eux trouveront le moyen de se réunir et de jouer leurs Jeux de Pouvoir. Dans un pays comme les Etats-Unis, la Chambre d’Écho est une façon de faire. La Chambre d’Écho est une mini-dictature – une dictature culturelle – de Jeux de Pouvoir à l’intérieur d’une démocratie libérale. Une zone de non-discours à l’intérieur d’une nation de libre expression.

Démocratie assurant la liberté d’expression--- Chambre d’Écho culturelle à l’intérieur d’une démocratie assurant la liberté d’expression

Ce genre de mini-dictature a l’effet inverse de celui d’un Laboratoire d’Idées sur ses citoyens. Si un Laboratoire d’Idées est un Dogmatique Anonyme, la Chambre d’Echo, c’est la fête au dogme.

Quelques raisons pour lesquelles cette fête est pourrie :

Une Chambre d’Écho vous rend plus primitif. Passer du temps dans un environnement plein de fumée primitive donne au Primitive Mind un avantage sur le terrain dans la bataille à l’intérieur de votre tête. Dans une Chambre d’Écho, les gens libèrent constamment la version humaine des phéromones de wolfpack – les mots qu’ils utilisent, l’exposition de la vertu, la structure sociale dans ou à l’extérieur du groupe, la vision binaire du monde. Ce n’est pas simplement la façon de penser du Primitive Mind, c’est comme un gaz dans l’air qui allume nos feux primitifs. Le langage tribal est la façon dont le Primitive Mind se signale à ses semblables : « Allez les gars, on fonce! On crée une armée et on part à la guerre! » Votre Higher Mind est déjà dans une rude bataille pour préserver votre santé mentale – mais essayer d’apprivoiser votre Primitive Mind dans ce genre d’environnement, c’est comme espérer qu’un requin entouré par nos soins de l’odeur du sang choisira de jeûner.

Une Chambre d’Écho vous rend arrogant. Une chambre d’Écho ne se contente pas de tirer l’ensemble de votre psyché vers le bas. Elle dirige la même force spécifiquement sur votre intellect. Lorsque tout le monde autour de vous croit que l’humilité est réservée aux faibles d’esprit et que la conviction est un signe d’intelligence et de droiture, vous n’en sortez pas indemne. Même dans une culture de Laboratoire d’Idées où l’humilité est la vertu intellectuelle ultime, nous avons beaucoup de mal à être humbles. Imaginez-vous donc dans un contexte où non seulement cette pression culturelle n’existe plus, mais où elle est inversée, où l’humilité y est ridiculisée… Je vous souhaite bonne chance!

Pendant ce temps, la force de vos croyances augmente. Dans un Laboratoire d’Idées, on vous rappelle toujours que les idées contraires sont valables, que toutes les idées sont imparfaites, que nous sommes tous enclins aux préjugés et que le monde est extraordinairement complexe. Comme si une soufflerie géante  chassait le brouillard hors de l’environnement. Dans une Chambre d’Écho, tous ces rappels ont été filtrés par le système, ce qui a permis au brouillard de s’épaissir. Les membres d’une Chambre d’Écho ont tendance à partager à la fois une conception trop simplifiée du monde et une vision exagérément positive de leur propre intellect. Si vos illusions sont partagées par l’ensemble de votre entourage, un brouillard englobant renforcera l’illusion commune, ce qui permettra à vos convictions d’atteindre des niveaux ridiculement élevés.

Au lieu de vous ramener vers la diagonale Connaissance-Conviction, la Chambre d’Écho vous hisse vers le haut dans la zone d’arrogance.

CONVICTION : SAVOIR ; POINT D'ÉQUILIBRE DE L'HUMILITÉ

C’est pourquoi les personnes qui passent trop de temps dans une Chambre d’Écho finissent dans une contradiction intellectuelle, avec des opinions fortement ressenties mais faiblement soutenues.

Une Chambre d’Écho vous rend intellectuellement impuissant. Ceux qui veulent devenir de meilleurs penseurs auront du mal à le faire dans une Chambre d’Écho, mitraillés qu’ils sont par les confirmations du point de vue unique, et inhibés par l’interdiction de toute dissidence et débat ouvert sur les sujets sacrés. Leur environnement est vidé des outils les plus indispensables pour l’acquisition des connaissances. C’est un environnement où A) les gens pensent que la connaissance est facile, B) l’exactitude n’est pas exigée quand les idées confirment le dogme, C) de nouvelles hypothèses honnêtes sont rarement formées, et D) la vérification des hypothèses existantes ou de nouvelles confirmations entrantes, par la dissidence et la critique, est culturellement découragée. A + B + C + D = un environnement d’ignorance imposée. Comment peut-on réellement apprendre dans cet environnement ? On ne peut pas.

Quand on est resté trop longtemps dans l’ignorance, on ne manque pas seulement de connaissances, notre capacité à apprendre se ternit. L’apprentissage est une compétence comme une autre – il faut de la pratique – et votre capacité à penser de façon critique s’atrophie. Les personnes qui s’entourent de cultures de type Laboratoires d’Idées s’entraînent constamment à défendre leurs idées et à défier celles des autres. Dans l’espace protégé de la Chambre d’Écho, vous restez un amateur, ce qui rend incroyablement intimidante la perspective d’essayer de migrer de votre environnement vers un environnement plus critique.

Une Chambre d’Écho fait de toi un sale type. Lorsque le Primitive Mind prend le contrôle de votre cœur, il rend votre capacité d’empathie uni-directionnelle – il l’assujettit à ses objectifs – et résister à cela est d’autant plus difficile dans un environnement totalement isolé du groupe perçu comme malveillant, où les mythes et les stéréotypes à son sujet imprègnent chaque conversation, et où l’on croit que haïr les bonnes personnes est précisément ce qui fait de nous une bonne personne. Quand vous en arrivez à croire que les gens à l’extérieur de la Chambre d’Écho ne valent pas la peine qu’on leur parle, il est facile d’oublier qu’ils sont des gens pleins et réels comme vous.

Une Chambre d’Écho vous force à vous soumettre. Ceux qui parviennent à rester suffisamment conscients d’eux-mêmes pour essayer de s’améliorer seront confrontés à l’aspect social de la rubrique culturelle de la Chambre d’Écho. Si vous essayez de sortir des points de vue standards de la pensée de groupe, la Chambre d’Écho mettra à l’index votre statut social, votre capital sympathie et votre crédibilité. Vos amis parleront dans votre dos. Votre famille discutera de la façon dont vous avez changé. Vos collègues vous excluront des happy hours. Votre entourage dogmatique a construit son identité, son sentiment de stabilité et son estime de soi autour de l’ensemble des illusions de la Chambre d’Écho – et essayer de s’améliorer sera inconsciemment perçu par les autres comme une menace personnelle. Mais comme la conscience de soi est rare dans les Chambres d’Écho, la pensée consciente de votre entourage leur dira simplement: « Ce type est un con ».

Tout ce qui précède fait de la Chambre d’Écho un puissant aimant au bas de l’échelle que nous avons appelée « Comment tu penses ».

CE QUE VOUS PENSEZ / COMMENT VOUS PENSEZ

Nous avons vu que l’effet d’aimant du Laboratoire d’Idées vous rendait plus intelligent, plus sage et plus humble, l’aimant de la Chambre d’Écho vous rend plus ignorant, arrogant, déconnecté de la réalité, dépourvu d’empathie et inepte. Vivre sa vie dans une Chambre d’Écho a aussi bon goût que les Skittles… et c’est tout aussi mauvais pour vous.

Prendre l’ascenseur vers le haut de la tour d’émergence, du monde des individus au monde des géants, nous rappelle la raison d’être des Chambres d’Écho: 

Comment les Chambres d’Écho affectent les groupes

Si un géant du type Laboratoire d’Idées ressemble à ça :

Une Chambre d’Écho est plutôt une sorte de géant de la vieille école :

Lorsque vous pensez à la Chambre d’Écho non pas comme à une collection d’individus, mais comme à un géant humain primitif s’adonnant aux Jeux de Pouvoir, toutes les caractéristiques étranges de la Chambre d’Écho s’éclairent – de la même façon que le comportement individuel des fourmis a le plus de sens lorsque vous faites un zoom arrière et que vous regardez comment la colonie fonctionne dans son ensemble. Revoir les qualités de la Chambre d’Écho ci-dessus du point de vue de l’organisme géant nous aide à les voir sous un jour nouveau.

Pour survivre, un géant a besoin d’être solidement fixé dans son intégrité, et la les croyances communes de la Chambre d’Écho jouent ce rôle de fixation. Alors qu’un Laboratoire d’Idées tire sa force de sa diversité intellectuelle, la Chambre d’Écho prospère grâce à l’uniformité intellectuelle :

Le réseau multicolore de cerveaux dans un Laboratoire d’Idées est un marché d’idées qui fonctionne comme un super-cerveau, une machine à penser géante et super intelligente. Par contre le réseau de la Chambre d’Écho est tout sauf un cerveau géant. Il s’agit d’un réseau d’entente de couleur unie, un bloc de cerveaux détournés, étroitement liés par des croyances communes afin de générer une force brute de par son nombre.

Un géant soudé par des croyances communes se nourrit du flux constant de confirmation desdites croyances. Il en tire sa subsistance et sa force. Les Chambres d’Écho sont donc des usines spécialisées dans la fabrication de confirmations.

Le collectif des Videurs de l’Attention, ces filtres de l’attention de la Chambre d’Écho parcourent le monde à la recherche de cerises d’information rouge vif ( voir la pratique du “cherry-picking” du chapitre précédent) qui soutiennent les croyances fondamentales du géant – tout ce qui aide à promouvoir le manifeste « Nous avons raison / nous sommes bien informés / intelligents / vertueux et ils se trompent / sont ignorants / stupides / mauvais ». Les normes pour les cerises de confirmation ne sont pas élevées – il peut s’agir d’anecdotes ou de statistiques aléatoires, d’opinions fièrement formulées, de citations hors contexte, peu importe. Il n’importe pas non plus que la confirmation soit vraie ou qu’elle passe pour une confirmation en dehors de la Chambre d’Écho – la plupart des gens dans une Chambre d’Écho y croient déjà, et tout ce qu’ils demandent à la confirmation, c’est qu’elle soutienne sans faiblir le bloc de croyances et le moral des troupes.

La pression sociale dans une Chambre d’Écho s’aligne sur la mission principale. L’expression de la confirmation y est socialement récompensée, de sorte que le système circulatoire du géant – le réseau de communication – finit par être inondé de cerises de confirmation plus mûres les unes que les autres. Lorsque de nouvelles t scintillantes pépites d’information venant à l’appui du dogme sont découvertes, elles se répandent dans le système comme un feu de forêt. L’usine à confirmation est également très douée pour lustrer les cerises les moins brillantes afin de les rendre plus intéressantes – grâce aux services du téléphone arabe, l’anecdote plus ou moins pertinente d’une personne peut rapidement se transformer en un fait confirmé et indéniable sur le monde. Les membres y verront une preuve scientifique supplémentaire que le bébé sacré est adorable. Dans ce marché à part, les arguments doués d’un pouvoir de confirmation (qu’ils soient vrais ou faux) intègrent sans filtre les croyances de la Chambre d’Écho, avec le laissez-passer immédiat dont bénéficient toutes les informations qui caressent dans le sens du poil les penseurs de bas étage.

 

Si le géant du Laboratoire d’Idées est le Scientifique ultime, la Chambre d’Écho est le Fanatique ultime. Comme tout fanatique, une Chambre d’Écho ne repose pas seulement sur la croyance, mais sur une conviction totale. La conviction d’une Chambre d’Écho n’est pas seulement une qualité caractéristique du géant de la Chambre d’Écho, c’est le sang du géant.

Le problème c’est qu’une force qui repose sur la conviction est fragile, vulnérable. Dans bien des cas, la conviction de nombreux membres de la Chambre d’Écho est entièrement fondée sur la confiance qu’ils ont dans la conviction des autres membres, dont beaucoup tirent leur conviction de la conviction d’autres encore. C’est comme une combine à la Ponzi. En réalité, le bébé de la Chambre d’Écho – le dogme qu’elle vénère – est tout ce qu’il y a de moins mignon. L’aveuglement est maintenu par une croyance fervente en ses qualités, basée sur une absence totale de remise en question, de discussion véritable à son sujet. Pour un géant qui compte sur la conviction pour survivre, le doute est mortel.

Dans un Laboratoire d’Idées, les gens savent que le flux d’information qui entre dans le système sera rempli de toxines – tromperies, biais, mensonges, enquêtes et études à la noix, recherches non représentatives, statistiques trompeuses, etc. Leur système immunitaire est le filtre des idées avec leur culture de dissidence et de réfutation. Les renseignements et les hypothèses qui réussissent à passer à travers les mailles du filtre sont très probablement non toxiques – et le réexamen continu des hypothèses acceptées par le Laboratoire d’Idées aide à déceler les toxines qui ont, d’une façon ou d’une autre, échappé à l’examen.

Une Chambre d’Écho fonctionne dans le sens inverse. La toxine du Laboratoire d’Idées – le biais et la méconnaissance – est le système immunitaire de la Chambre d’Écho. Le système immunitaire du Laboratoire d’Idées – le doute et la dissidence – est précisément la toxine de la Chambre d’Écho. Chaque système immunitaire est fait de ce contre quoi l’autre se protège.

Pour un géant de type Chambre d’Écho, le doute qui menace d’infiltrer le système depuis l’extérieur, s’y enracinant et s’y propageant, est pareil à un virus mortel. Le système immunitaire de la Chambre d’Écho est donc un système de filtres multicouches qui laisse peu de place au hasard. Pour réussir à générer le doute dans les neurones d’une Chambre d’Écho, une idée dissidente doit d’abord passer le filtre du “cherry-picking”. Elle doit ensuite survivre au filtre spécialisé dans la mauvaise interprétation, la distorsion et le recadrage des informations gênantes (ou, si tout cela échoue, le discrédit de la source). ‘idée dissidente ayant su vaincre ces obstacles doit encore trouver un moyen de se répandre à travers un réseau social dont les membres risquent la punition en la partageant. Enfin, dans le cas où des données statistiques contraires indéniables, de nouveaux faits accablants ou une opinion dissidente solidement soutenue parviennent à se frayer un chemin jusqu’aux esprits de la Chambre d’Écho, il reste une dernière ligne de défense : le déni. La plupart des membres de la Chambre d’Écho sont des penseurs de bas étage, ce qui signifie qu’on ne peut pas les prendre en défaut – ils appliquent les règles de la Chambre d’Écho dans leur propre tête, et leurs préjugés cognitifs constituent le dernier obstacle.

L'usine à connaissance de la Chambre d'Écho : info ; système immunitaire contre le doute : filtrage et distorsion du désaccord ; confirmations

Pourtant, même avec un système immunitaire hermétique en place pour contrecarrer l’invasion des virus du doute, la Chambre d’Écho est vulnérable à une menace interne. Dans les mots de H. L. Menken : « L’homme le plus dangereux pour un gouvernement est celui qui est capable de réfléchir par lui-même, sans tenir compte des superstitions et des tabous. » La même chose est vraie pour les Chambres d’Écho. A côté du grand nombre d’Avocats et de Fanatiques qui croient au dogme sans réserve, chaque Chambre d’Écho comprend des personnes qui n’adhèrent pas réellement au dogme – comme ces amis de la famille qui se rendent bien compte que le bébé n’est pas un premier prix de beauté. Ces personnes sont les plus dangereuses pour une Chambre d’Écho, car en tant que membres de confiance du groupe “Nous”, la dissidence qu’ils expriment peut contourner le système immunitaire et déclencher une dangereuse dissonance cognitive chez leurs collègues. Si la dissidence de l’extérieur peut se transformer en virus du doute dans le corps du géant de type Chambre d’Écho, la dissidence de l’intérieur risque de devenir un cancer du doute. C’est pourquoi les Chambres d’Écho ne se contentent pas de rendre difficile l’expression d’idées impopulaires : elles la rendent taboue. Le cancer doit être étouffé à la racine.

Voilà le type de super contrôle de l’information auquel vous arrivez quand la réalité n’est pas votre amie – quand la pureté idéologique est une exigence de survie.

Quand on regarde comment les géants interagissent entre eux, on aperçoit une dernière distinction entre Laboratoires d’Idées et Chambres d’Écho. Comme nous l’avons vu plus haut, les Laboratoires d’Idées fusionnent de façon transparente avec d’autres Laboratoires d’Idées, car bien que leurs points de vue soient micro-divisés, ils sont macro-unifiés par des valeurs communes comme la civilité et la vérité. Comme on pouvait s’y attendre, le fonctionnement de la Chambre d’Écho est opposé : elle est micro-unie dans ses points de vue et macro-divisée vis-à-vis des communautés qui ne partagent pas ces points de vue.

CE QUE VOUS PENSEZ / COMMENT VOUS PENSEZ ; macro-divisés ; micro-unis

Comme les Chambres d’Écho sont construites sur la base d’un accord, elles ne peuvent fusionner qu’avec des communautés qui partagent les mêmes idées.

Prenez les Millers.

Les Miller sont un couple de type Chambre d’Écho. Lorsqu’ils étaient célibataires, ils triaient les potentiels prétendants selon la similitude de leur univers mental. Aujourd’hui, l’harmonie de leur couple dépend du degré de concordance de leurs opinions. Nombre de points de vue ne pourraient être exprimés sans provoquer une terrible dispute.  Il en va de même pour leur vie sociale – ils recherchent des amis qui partagent leurs points de vue et considèrent les autres comme des cons.

Bien sûr, nous sommes tous sensibles au fait que nos amis partagent notre vision du monde – mais les Miller ne connaissent pas d’autre manière de créer des liens. Lorsqu’ils ont de nouveaux amis potentiels pour le dîner, plus les points de vue convergent – surtout en ce qui concerne les idées les plus sacrées des Miller, comme la politique et l’éducation des enfants – plus ils aimeront leurs nouveaux amis et voudront pérenniser la relation. Un dîner chez les Miller s’avère une expérience très différente d’un dîner chez les Johnson-Smith, que nous avons observé plus tôt.

Dîner chez les Johnson : « Je suis sûre que quelque chose cloche mais je n'arrive pas à comprendre quoi » ; « Intéressant. Je n'aurais jamais pensé à combiner ces deux pièces» Dîner chez les Miller : « La vache ! Ce bébé est trop mignon ! » ; « Mon Dieu qu'il est beau ! » ; « Oh oui alors ! »

Il est assez facile pour les couples de type Chambre d’Écho de s’assurer que leur univers demeure étroitement ficelé. Mais à mesure que les Chambres d’Écho prennent de l’ampleur, il devient de plus en plus difficile de les maintenir unies par des idées communes. Les croyances clés pour cette cohésion sont donc identifiées et simplifiées jusqu’à obtention de quelques idées pouvant servir de dénominateur commun, derrière lesquelles pourra se ranger l’ensemble de la communauté. Ainsi, alors que les Laboratoires d’Idées deviennent encore plus intelligents et plus nuancés au fur et à mesure de leur croissance, les Chambres d’Écho deviennent plus bêtes et plus sûres d’elles à mesure qu’elles grandissent.

Vous vous souvenez de la bande dessinée « moi contre mon frère ; moi et mon frère contre nos cousins ; moi, mon frère et mes cousins contre l’étranger » dans la première partie de cette série ? La haine ou la peur d’un ennemi commun – un groupe de personnes ou d’idées opposées – est souvent le dénominateur commun qui unit les grandes Chambres d’Écho. Sans une ligne de démarcation Eux/Nous bien visible, le Nous d’une Chambre d’Écho est susceptible de se diviser en factions rivales Nous/Eux. Ainsi, les Chambres d’Écho ne se combinent généralement pas à l’échelle nationale ou à l’échelle de l’espèce comme le font les Laboratoires d’Idées – elles se développent jusqu’à ce qu’elles atteignent une situation stable à deux rivaux (pensez aux partis politiques ou aux paradigmes économiques, pour ne citer que deux exemples évidents). Le mécanisme de haine et de peur qui permet d’unir des Chambres d’Écho naturellement divisées explique le fait que les coalitions de Chambres d’Écho qui se développent ne deviennent pas seulement plus ignorantes, elles deviennent plus malveillantes et dangereuses.

J’ai dit plus tôt que les Laboratoires d’Idées sont géniaux parce qu’ils sont géniaux à tous les niveaux de l’émergence. Eh bien, les Chambres d’Écho sont nulles, parce qu’elles sont nulles à tous les niveaux de l’émergence.

Au niveau individuel, la profusion de tabous en fait un terrain miné où la liberté d’expression dépérit, elles entravent l’apprentissage et le développement individuel et favorisent une arrogance déconnectée de la réalité. En tant que mini-nations, elles ressemblent davantage à des dictatures de la vieille école qu’à des démocraties constitutionnelles, et elles tirent leurs citoyens vers le bas du Spectre Psychique.

Au niveau de la communauté, les Chambres d’Écho sont plus que la somme de leurs parties en ce qui concerne uniquement la puissance brute. Intellectuellement, le géant de type Chambre d’Écho est moins capable de trouver la vérité qu’un seul penseur indépendant.

Au niveau national et transnational, nous pouvons remercier les coalitions de la Chambre d’Écho pour les épisodes sympas de notre histoire comme la guerre, l’oppression, le sectarisme et le génocide. C’est grâce au grand Laboratoire d’Idées de l’espèce que nous avons progressé. Les Chambres d’Écho géantes sont la raison pour laquelle le progrès n’a pas été beaucoup plus rapide.

Nous vivons tous dans quelques Chambres d’Écho en ce moment. Pour découvrir les Chambres d’Écho dans votre vie, pensez aux différentes communautés dont vous faites partie, et demandez-vous : « Y a-t-il un bébé sacré dans la chambre quand je suis avec ces gens ? Y a-t-il des idées ou des points de vue qui sont socialement interdits ? »

Voici une autre astuce :

L’épreuve de vérité du sale type

Je suis un fan de longue date de Randall Munroe et de son site toujours aussi charmant xkcd mais j’ai une petite critique sur une histoire en particulier :

Message d'intérêt public : « Le droit à la liberté d'expression signifie que le gouvernement ne peut vous arrêter pour vos paroles » ; « Cela ne veut pas dire que les gens sont obligés d'écouter vos conneries – ou de vous fournir les moyens de vous exprimer en ligne » : « Le 1er Amendement ne vous protège pas de la critique et des conséquences de vos paroles » ; « Si on vous crie dessus, si on vous boycotte, si l'on annule votre émission ou si vous êtes banni d'une communauté en ligne, vos droits à la liberté d'expression ne sont pas violés » ; « C'est juste que les gens qui écoutent pensent que vous êtes un con » ; « et qu'ils vous montrent la porte ».

Ce que Randall essaie de faire ici, c’est de remettre à leur place les personnes qui prétendent à tort que leurs droits, au titre du Premier amendement, sont violés.4/ Cette bande dessinée fait du bon travail à ce propos. Mon problème c’est qu’elle n’aborde pas la différence entre les deux types de cultures intellectuelles dont nous avons parlé et, à ce titre, elle sert de justification parfaite à la fois pour le Laboratoire d’Idées et la Chambre d’Écho.

Pour moi, le mot critique ici est « sale type ». Les deux types de culture intellectuelle sont d’accord avec la bande dessinée – ce sur quoi ils ne sont pas d’accord est la définition de sale type.

Les communautés qui définissent le sale type comme « quelqu’un qui, au cours de disputes, attaque les gens, pas les idées », ou « quelqu’un qui exprime des convictions sur des points de vue dont il ne sait pas grand-chose », ou « quelqu’un qui n’admet jamais quand il a tort » sont des Laboratoires d’Idées. Ils expulsent du club ceux qui transforment les débats en bagarres et entravent la capacité de la communauté à rechercher la vérité.

Par opposition, les communautés qui définissent le sale type comme « quelqu’un qui n’est pas d’accord avec ce que la communauté croit », ou « quelqu’un qui a des opinions que nous trouvons offensantes », ou « quelqu’un qui critique la communauté ou défend la communauté rivale » sont des Chambres d’Écho. En « montrant la porte » à tous ceux qui ne disent pas que leur bébé est mignon, ils purgent la communauté de la dissidence et s’assurent que les choses restent intellectuellement pures.

La bande dessinée xkcd est une bande dessinée sur l’intolérance – mais la question clé qu’elle laisse ouverte est : l’intolérance de quoi ? Lorsque vous considérez vos propres jugements et ceux de vos communautés, pensez aux critères d’intolérance. Demandez-vous : Comment définit-on exactement un « sale type » ?

La démocratie libérale : Coexistence des cultures

Nous parlons dans cette série de psychologie et de sociologie, car pour comprendre ce qui se passe dans le monde qui nous entoure, nous devons penser aux deux. Si nous regardons l’humanité en 3D, nous voyons que la psychologie et la sociologie étudient le même système humain, simplement elles le font à partir de points de vue différents le long de la Tour de l’Émergence.

Ce que les Laboratoires d’Idées et Chambres d’Écho nous montrent, c’est que la tension entre le Higher Mind et le Primitive Mind ne se produit pas seulement dans chacune de nos têtes – elle fait rage de haut en bas de la tour d’émergence, au cœur de notre psychologie et de notre sociologie. C’est une lutte en 3D.

Cette lutte en 3D est la toile de fond de l’histoire humaine et de tout ce qui se passe dans notre monde aujourd’hui. Cela peut également nous aider à comprendre pourquoi les ancêtres des Américains ont conçu le système que nous connaissons.

La principale innovation dans un pays comme les États-Unis n’est pas d’imposer à quiconque des cultures d’élite et la liberté d’expression – c’est de donner la liberté aux individus et aux communautés d’être eux-même, sans être inquiétés. Ce qui importe, c’est que l’adhésion à une communauté ou à une culture, y compris une mini-dictature, soit purement volontaire. Si la seule menace dont sont capables les fanatiques est de vous expulser de leur cercle social – de vous « montrer la porte » – les gens éclairés sont libres, dans une démocratie libérale, de dire « au revoir » et d’aller voir ailleurs. C’est la sauce secrète de la démocratie libérale.

Dans des pays comme les États-Unis, les Laboratoires d’Idées et les Chambres d’Écho coexistent. Les Chambres d’Écho peuvent ralentir le progrès du pays, mais elles ne peuvent pas détourner de force l’ensemble du système comme c’est le cas dans les Jeux du Pouvoir. Que cela plaise ou non aux Chambres d’Écho (et ça ne leur plait généralement pas), les Laboratoires d’Idées d’une démocratie libérale, avec suffisamment de ténacité, peuvent continuer à alimenter la lente et constante marche en avant de leur pays.

Je préciserais: en théorie. Souvenez-vous des paroles d’un homme sage, Jeff Goldblum. La vie trouve toujours un chemin. Les démocraties libérales ont acquis une grande aptitude à plafonner le pouvoir du Primitive Mind, voire à l’exploiter comme moteur de progrès. Mais comme un animal en cage, le Primitive Mind aspire à son habitat naturel – les Jeux de Pouvoir. Et mauvaise nouvelle: même le meilleur système n’est pas infaillible.

Je regarde les États-Unis et d’autres parties du monde aujourd’hui et je crains que quelque chose ne tourne pas rond – que dans le chaos des progrès rapides de la technologie et des médias, nos pires tendances ne soient en train de se libérer tranquillement et sans bruit. Dans la prochaine partie de cette série, nous allons prendre une grande inspiration et nous plonger dans le sujet préféré de tous : la politique. Si nous pouvons regarder le monde qui nous entoure et le voir en 3D, nous pourrons peut-être comprendre ce qui s’y passe vraiment.


  1. J’ai ajouté “quasiment” en révisant l’article, après avoir appris qu’il arrive que les ours polaires se blottissent entre eux des fois.

  2. Ceci m’est rappelé chaque fois que je suis dans un pays différent et où je rencontre un autre Américain. Il y a souvent une compréhension réciproque immédiate qu’on apprécierait jamais autant une fois rentré au pays.

  3. En tant qu’écrivain, je dois beaucoup à mes lecteurs : par leurs retours, ils me ramènent vers la corde raide de l'humilité. Je peux littéralement me sentir tiré vers le bas, au travers des critiques quand je m’élève trop, et je me sens tiré vers le haut vers la corde au travers des retours positifs quand je me sens en insécurité.

  4. Nous en avons parlé dans le Chapitre 4, avec l’exemple des cercles rouges et verts dans une propriété privée

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