Politique disney

Ceci est le chapitre 9 d’une série. Si vous venez d’arriver , commencez ici.

Partie 4 : La politique en 3D

« La connaissance de la nature humaine est le début et la fin de l’éducation politique. » – Henry Adams

Chapitre 9 : Politique Disney

J’ai grandi à Newton, Massachusetts, dans les années 80 et 90. Newton présentait à l’époque une grande mixité sociale – une banlieue de 90 000 habitants aux origines ethniques, religieuses et socioéconomiques très diverses. Tout le monde était donc bienvenu à Newton, à deux conditions : être un fan des Red Sox et être un Démocrate. Chance: j’étais les deux.

À six ans, ma classe de CE1 a dû voter pour l’élection présidentielle de 1988 en encerclant soit « Michael Dukakis  » soit « George Bush » sur une petite feuille de papier, en la pliant et en la plaçant dans une boîte à chaussures sur le bureau du professeur. Pour la première fois, j’étais conscient de participer à un grand événement politique. Plus tard ce jour-là, le professeur a révélé les résultats :

Dukakis 20, Bush 1

Évidemment! Dukakis, c’était le gentil et Bush était le méchant. Je ne sais toujours pas quel est le malade qui a voté pour le méchant, mais à part ça, les résultats étaient logiques. Rien de très excitant.

Sur ce, les élections ont eu lieu et, chose insensée, Bush a gagné.

J’étais atterré… Quelle folie avait donc frappé mon pays? Comment tant de gens avaient-ils pu se tromper à ce point ?

Je me suis dit qu’un jour je serais grand et qu’alors je comprendrais mieux le monde.  Tout finirait par s’expliquer.

Et puis j’ai grandi… Les années passaient et l’histoire ne changeait pas: il y avait le Parti du Bien, qui se souciait des pauvres et des noirs, des fleurs et des sourires, et le Parti du Mal, composé des multiples avatars de ces deux hommes qui enseignent à leur fils comment créer des comptes offshore:

Pourtant, à chaque élection, le vote tournait autour de 50/50. Je me désolais de constater que mon pays comptait 50% de cons. Lamentable.

En 2000, j’entrai à l’université. L’année Bush-Gore. Alors que tous ceux avec qui j’avais grandi soutenaient (évidemment) Gore de toutes leurs forces, j’ai peu à peu réalisé que mes nouveaux amis étaient un groupe bien étrange. Certains d’entre eux soutenaient Gore, mais rejettaient plusieurs de ses idées. D’autres n’aimaient aucun des deux candidats. Enfin, certains soutenaient Bush avec ferveur, alors qu’ils m’avaient jusque là semblés tout à fait raisonnables.

J’ai exprimé ma position haut et fort. Quand je leur ai annoncé que, bien sûr, je votais pour Gore, au lieu de me féliciter, ils m’ont demandé pourquoi. Je pouvais évidemment donner toutes sortes de raisons, mais quand mes amis m’encouragèrent à être plus précis dans mon argumentaire, je tombai sur un os.

J’en étais incapable.

Je savais que Gore était le meilleur choix, tout comme je savais que le Parti démocrate était le meilleur parti – mais quand on me poussait à expliciter les raisons pour lesquelles je soutenais tel ou tel aspect de la politique de Gore, j’étais bien embarrassé.

La politique de Gore sera plus bénéfique aux pauvres.

Pourquoi ?

Parce qu’il ne réduira pas les impôts des riches et qu’il y aura plus d’argent pour les programmes sociaux.

De quels programmes sociaux parles-tu ? Selon toi, lesquels ont bien fonctionné ? Pourquoi es-tu si sûr que l’augmentation des dépenses publiques est la meilleure façon d’aider les pauvres ? Et pourquoi es-tu si sûr que réduire les impôts des riches ne peut pas, au final, être bénéfique aux pauvres ?

Euuhhh… Et bien, Gore sera meilleur pour l’environnement. 

Comment ça ?

Il en parle davantage et semble s’en soucier davantage.

D’accord, mais quel genre de politique espères-tu qu’il mette en place, que Bush ne mettrait pas en place ? Et penses-tu que des réglementations ou des incitations gouvernementales feront plus qu’une solution par le marché comme une taxe sur le carbone ?

La vache! Plus mes amis me poussaient à creuser les raisons qui sous-tendaient mes opinions, plus celles-ci semblaient se résumer à un mix de « Parce que c’est évident, tous les gens que je connais le savent » et « Parce que les Démocrates sont les gentils ».

Le fait d’être mis au défi par des gens qui n’étaient pas d’accord avec moi m’a permis de prendre conscience que je ne savais rien. Je croyais tout un tas de choses – et j’y croyais dur comme fer.

Je ne savais rien parce que je n’avais jamais eu besoin de savoir quoi que ce soit pour penser que j’avais toutes les réponses, et je n’avais jamais été assez intéressé par les rouages du gouvernement pour faire l’effort sérieux de les comprendre vraiment. J’étais tout au plus capable d’articuler superficiellement un ensemble de croyances qui me paraissaient justes.

Je m’étais toujours considéré comme un penseur éduqué, indépendant, un penseur dont les opinions étaient basées sur des preuves et des faits. Ma première année d’université a démoli mes illusions. En ce qui concernait la politique au moins, force m’était de reconnaître que je n’étais pas un penseur du tout.

Si je devais décrire la politique dans les sociétés modernes, je dirais que c’est… (Je cherche le terme exact)… un cauchemar. Ni plus ni moins. Une horreur, et ce pour quasiment tout le monde. La politique nous rend coléreux. La politique nous rend anxieux. Haineux. La politique fait ressortir ce qu’il y a de pire en nous.

Pourquoi ?

La politique s’occupe d’organiser la vie en commun: comment faire pour que les gens vivent, travaillent et prennent des décisions ensemble. À priori, cela semble être un défi fascinant: un projet commun auquel participent l’ensemble des membres d’une société pour le bien de tous. Bien sûr que tout cela est litigieux, bien sûr que cela implique de la concurrence et des désaccords, mais tous les domaines litigieux, concurrentiels et polémiques ne deviennent pas d’épouvantables cauchemars dans lesquels chacun devient une catastrophique caricature de lui-même : la science, les sports, la technologie, l’entrepreneuriat et les arts, pour n’en citer que quelques-uns. Pourquoi la politique, comparée à ces autres champs du développement humain, remporte-t-elle à tous les coups la palme du pire?

Munissons-nous de nos outils et examinons le problème.

La politique en 2D

Je ne sais pas comment ça se passe ailleurs, mais aux États-Unis, tout le monde parle de la politique comme si elle était unidimensionnelle :

« Spectre Politique : Ultra-violet / extrême gauche / gauche modérée / centre / droite modérée/extrême droite / infrarouge »
« Spectre Politique : Ultra-violet / extrême gauche / gauche modérée / centre / droite modérée/extrême droite / infrarouge »

Dans ce chapitre, nous allons essayer de regarder la politique en 2 dimensions. Nous avons consacré le chapitre 7 à décrire l’Échelle de la Pensée. À quoi ressemblerait une échelle politique ?

[Blue Box]

Probablement le bon moment pour un petit rappel

Nous avons commencé cette série par la définition de ce que je considère comme deux éléments fondamentaux de la psyché humaine.

[ Légende de l’image: Le « Primitive Mind » ( « Esprit Primitif ») : le logiciel ancestral à l’intérieur de tout cerveau humain qui nous pousse à obéir à la volonté de nos gènes : « Survis assez longtemps pour transmettre tes gènes »
Le « Higher Mind » (« Esprit Supérieur ») : l’aptitude humaine à la clarté, la rationalité, la conscience de soi, la sagesse ; la capacité à surmonter nos instincts quand nécessaire ]

Je les appelle « esprits », mais en réalité, ils ne représentent que desdeux états dans lesquels une personne (ou un groupe de personnes) peut se trouver. En général, quand le Primitive Mind contrôle notre esprit, nous ne sommes pas la meilleure version au mieux de nous même, nous faisons des choix discutables et nous agissons sans conscience. Lorsque le Higher Mind est au contrôle, nous sommes en quelque sorte plus adultes. Il ne faudrait pourtant pas imaginer ce modèle de manière binaire; il s’agit plutôt d’un tiraillement interne, d’un va-et-vient constant entre ces deux pôles.

Le Spectre Psychique est notre façon de visualiser où nous en sommes dans cette lutte. Lorsque le Higher Mind est fortement présent dans nos esprits, nous nous situons vers le haut du spectre. Lorsque la voix du Higher Mind se perd dans le brouillard d’un Primitive Mind fébrile, nous nous enfonçons vers les bas-fonds  du spectre.

Il me semble que lorsque j’essaie de comprendre les actes, paroles ou opinions de telle ou telle personne, tel ou tel groupe en termes d’options, de choix ( que pense t-il ? Quel parti préfère-t-elle ? Qu’a-t-il dit ? Que choisit-elle de faire ? Etc… ), les choses s’éclairent considérablement dès que je fais entrer le Spectre Psychique dans l’équation. L’échelle permet de visualiser cela. Si nous représentons les choix que la vie nous propose sur un spectre horizontal unidimensionnel, nous pouvons ajouter, sur un axe vertical (axe Y), le spectre psychique. Le carré qui émerge alors nous oblige à ajouter une deuxième dimension à notre réflexion. Concomitant à la question des choix de vie émerge la question : « Comment le Spectre Psychique affecte t-il les choix qui ont été faits ? »

J’appelle l’axe vertical une échelle parce que le fait d’envisager les choses en termes d’échelons nous permet de nous concentrer sur le Spectre Psychique, ce sur quoi j’aimerais que nous travaillions dans cette série. 

Si nous voulons définir les échelons de l’échelle, quelle que soit la réalité qu’elle représente, nous devons commencer par nous demander comment les Higher et Primitive Minds traiteraient le domaine de l’existence sur lequel nous nous penchons. Les Higher et Primitive Minds occupent chacun une extrémité de notre échelle (même si chaque personne définirait sans doute le Spectre Psychique, l’échelle, d’une manière qui lui est propre).  En ce qui concerne notre vie intellectuelle, je conçois le Higher Mind comme ce qui en nous cherche  la vérité (parce que c’est ce qui est rationnel pour lui), le Primitive Mind étant ce qui en nous cherche la confirmation des croyances (parce que c’était le meilleur moyen de survivre il y a 50 000 ans).  Ma définition de chaque niveau de l’Échelle de la Pensée résulte de ces deux définitions (j’ai nommé l’axe des Y « Comment tu penses » car dans le cadre de notre réflexion présente, nous utiliserons le Spectre Psychique pour appréhender nos manières de penser) :     

[légende de l’image: L’Échelle de la Pensée: CE QUE VOUS PENSEZ / COMMENT VOUS PENSEZ (motivation intellectuelle : confirmation / motivation intellectuelle : vérité) ;
Penser comme un fanatique / comme un avocat / comme un supporter / comme un scientifique ]
[Fin du blue box]

Maintenant, revenons à nos moutons: à quoi ressemblerait une Échelle Politique?

L’Échelle Politique est un peu plus compliquée que l’Échelle de la Pensée. Étudier la politique, c’est avant tout étudier la pensée politique et en cela, l’Échelle de la Pensée est un excellent outil. Mais la politique, c’est aussi l’action. Ce qui nous amène à nous poser la question suivante : Quels sont les objectifs politiques du Higher Mind et du Primitive Mind ?

 

Je vous livre ma définition, qui n’est pas forcément la vôtre : le but politique du Higher Mind, ce penseur adulte, rationnel et universel est de construire une nation plus parfaite. Le but politique du Primitive Mind, cette survivance archaïque obsédée par la survie et adepte des Jeux de Pouvoir, est le triomphe politique contre les méchants, quelle que soit la forme qu’ils prennent. 

Dans l’idéal, une discussion sur la politique devrait donc intégrer à la fois la pensée politique et l’activisme politique : 

[ légende: Le Spectre Psychique en lien avec – La pensée politique / L’activisme politique – Motivation intellectuelle: VÉRITÉ / Motivation de l’activiste: NATION PLUS PARFAITE – Motivation intellectuelle: CONFIRMATION / Motivation de l’activiste: TRIOMPHE POLITIQUE ]

Le problème, c’est que l’utilisation de deux échelles politiques alourdirait beaucoup cet article, en plus d’être finalement assez redondante. Je suis sûr qu’il y a des cas où des personnes occupent simultanément des positions différentes sur l’axe des Y selon que l’on considère leur pensée politique ou leur activisme… mais comme vous l’avez sûrement constaté, le cas est rare… Donc, pour simplifier, faisons du 2 en 1. Voici L’Échelle Politique:

[ légende: L’échelle politique: Spectre Psychique / Spectre politique. Motivations politiques: VÉRITÉ & NATION PLUS PARFAITE / Motivations politiques: CONFIRMATION ET TRIOMPHE. (De haut en bas): Vous êtes libre d’attachement à un parti politique ; Vous vous identifiez à un parti mais vous êtes capable de reconnaître (à contre cœur) ses erreurs ; L’un des partis est incontestablement votre parti et vous pouvez démontrer de maintes façons en quoi il représente le Bien et la Raison face à un ennemi fourvoyé et stupide ; Vous appartenez à votre parti comme vous appartenez à votre famille et l’opposition est un nid de salauds]

Maintenant que nous avons appris à visualiser la politique en 2 dimensions, 1 nous pouvons revenir à notre question : Pourquoi la politique est-elle un tel cauchemar ?

Réponse : il y a un aimant caché au bas de l’Échelle Politique.

Quelques sujets aimantés vers le bas

La religion, comme presque tout ce qui occupe l’esprit humain, existe de haut en bas  du Spectre Psychique. On trouve au sommet des personnes qui pensent la religion comme un ensemble de traditions culturelles, comme une base pour la communauté, comme un cadre moral, voire comme un ensemble captivant d’ouvertures sur l’inconnu. On trouve dans chacun des textes religieux majeurs des idées nobles et éclairées, et chaque religion majeure comprend des millions d’adeptes à l’esprit ouvert. Leur adhésion religieuse, loin d’être incompatible avec la pensée intellectuelle et morale, claire et consciente d’elle-même que nous avons évoquée plus haut, est en droite ligne avec celle-ci. Elle participe clairement du Higher Mind. La religion, dans cette optique, est une belle et bonne chose.  

Par contre, au fur et à mesure que vous approchez le bas du Spectre Psychique, les conceptions éclairées de la culture, de la communauté, de la philosophie religieuses deviennent ni plus ni moins que des expressions du fanatisme, du tribalisme, de l’aveuglement et de la misère morale. Le Primitive Mind vous a finalement englouti.

Si la religion constitue l’une des principales et plus puissantes Chambres d’Écho, ce n’est pas parce qu’elle s’étend sur tout le Spectre Psychique : c’est le cas de la plupart des champs sociaux. L’effet Chambre d’Écho vient surtout du fait que la distribution a tendance à se concentrer sur les échelons du bas de l’échelle. Peu de personnes profondément religieuses échappent à ce magnétisme descendant. Pourquoi? Quelques pistes:

■ La religion implique des croyances sur la mort, le sexe, la moralité, et la plupart des sujets importants pour le Primitive Mind. Les croyances sur la vie éternelle, en particulier, correspondent parfaitement à l’objectif principal des gènes animaux.

■ La religion est basée sur la foi. Elle est donc infalsifiable, du moins en ce qui concerne les manières de concevoir la mort, intrinsèquement non vérifiables.

■ La religion est un sujet auquel les identités aiment s’attacher. On ne suit pas le christianisme, on ne croit pas au christianisme, on ne vit pas selon les philosophies du christianisme – on est chrétien.

■ La religion se prête parfaitement à une vision tribale du monde : Eux/Nous. Si je suis un X et que les adeptes de l’autre religion sont des Y, reconnaître que les Y ont raison revient à reconnaître que j’ai tort.

■ La plupart des religions sont basées sur des livres écrits il y a longtemps, par des êtres dont les Higher Minds avaient moins accès à la connaissance et à une sagesse morale avancée qu’aujourd’hui.

Il n’est donc pas surprenant que la religion titille nos Primitive Minds et qu’elle semble souvent condamnée  aux bas-fonds du Spectre Psychique sans espoir de rédemption.

Il se peut d’ailleurs que si, au lieu de grandir aux États-Unis, j’avais grandi dans une Chambre d’Écho religieuse, entouré de dogmatiques religieux; si je voyais quotidiennement mon pays déchiré par la religion… alors peut-être aurais-je écrit une longue série de posts sur la religion. Mais je suis né aux États-Unis. Et j’écris sur la politique.

La politique, comme la religion, est experte dans l’art d’attiser nos feux primitifs.

Elle est perçue par le Primitive Mind comme une question de vie ou de mort… ce qui est après tout logique : dans les temps anciens, que le Primitive Mind n’a jamais vraiment quittés, la politique a souvent été un jeu de vie ou de mort. La plupart des humains ayant vécu avant le siècle des Lumières mettaient leur vie en danger s’ils contestaient le pouvoir en place. Cela reste malheureusement vrai pour beaucoup d’humains au XXIème siècle. Être du côté des vainqueurs vous rendait au contraire invincible. Si le vent tournait, votre vie s’écroulait comme un château de cartes. 

Cela ne veut pas dire que la politique a cessé de traiter les questions essentielles que sont la liberté, la sécurité, l’équité et l’accès aux ressources; cela veut simplement dire qu’à l’heure actuelle, dans un pays comme les États-Unis, ces enjeux ne sont plus aussi critiques. La politique moderne consiste à déterminer le niveau optimal de l’impôt, elle ne consiste en aucun cas à choisir, en période de sécheresse, qui sera sauvé de la famine. Elle consiste à tenter de concilier des droits apparemment antagoniques, en aucun cas à désigner les esclaves et les maîtres. Elle consiste à se demander si le système judiciaire fonctionne de manière optimale et universelle, en aucun cas à déterminer quels citoyens peuvent y recourir. Elle consiste enfin à s’assurer que la police remplit correctement sa mission de protection de la population, en aucun cas à décider quelle partie de la population aura carte blanche pour exterminer l’autre. Je n’oublie pas ici que la politique libérale moderne peut représenter des enjeux de vie ou de mort pour certains citoyens, je constate simplement qu’aujourd’hui, ces cas sont l’exception, alors qu’hier ils étaient la règle.

Le problème, c’est que nos esprits primitifs sont “câblés” pour concevoir la politique à l’ancienne, quelle que soit la façon dont le monde a changé. J’ai conscience que beaucoup d’entre vous liront ces lignes et se diront: “La politique n’a pas fondamentalement changé: elle cache mieux son jeu, c’est tout”. Ce qui illustre l’opinion catastrophique que nous en avons… 

La politique ne se contente pas de titiller nos survivances archaïques. À l’image de la religion, elle est le lieu où converge tout ce qui a le don d’attiser la flamme primitive qui couve encore en nous:      

Le Primitive Mind est obsédé par les hiérarchies de pouvoir. Que fait la politique? Elle donne à certains humains le pouvoir de s’imposer au reste de la population.

Le Primitive Mind est obsédé par les divisions morales binaires. Que propose la politique? Une arène où, à l’instar de la religion, éclatent les querelles les plus féroces, à propos de la vertu et du vice, du juste et de l’injuste, du pur et du malsain, du bien et du mal.

Le Primitive Mind est profondément préoccupé par la défense de l’identité individuelle. La politique offre une opportunité d’affiliation qui devient, comme l’affiliation religieuse, une partie de notre socle identitaire.

La politique et la religion en viennent quelquefois à partager le même terrain, comme en témoigne le conflit incessant autour de la laïcité.

[ Légende: « Séparation de l’Église et de l’État »; « Ignorez-le » ]

N’oublions pas, bien sûr, la manière dont la politique se prête admirablement au tribalisme, jeu de prédilection du Primitive Mind. Ce dernier voit le monde à travers le prisme des Jeux de Pouvoir. Dans cette optique, il n’a de cesse de diviser son environnement entre Nous et Eux, et fait feu de tout bois. La politique lui fournit un vecteur de division idéal.   

Tout cela fait de la politique un formidable aimant au bas du Spectre Psychique. Mais ne me croyez pas sur parole…

[ Début du Blue Box]

Quelques données scientifiques pour mieux comprendre pourquoi la politique nous rend cons

Il reste beaucoup à apprendre sur le sujet, mais plusieurs recherches intéressantes nous aident déjà à expliquer cette attirance du monde politique pour le bas du Spectre Psychique.

Une étude de 2016 publiée dans la revue Nature présentait à un panel de personnes des « arguments en contradiction avec leurs convictions politiques et non politiques ». Les résultats furent assez frappants : les interrogés étaient beaucoup moins susceptibles de changer d’opinion lorsqu’il s’agissait de leurs convictions politiques. 1

[ légende: Changement de Croyance – Politique – non-politique – (de gauche à droite : Avortement – Mariage gay – Immigration – Peine de mort – Budget Défense – Contrôle des armes – Guerre contre le terrorisme – L’éducation est bénéfique – Politique sociale – Détecteurs de mensonges – Taxer les riches – Faire confiance à vos semblables – Multivitamines – Tabagisme passif – Albert Einstein – Surpopulation – Les gens modernes sont mieux informés – Sacs en papier – Dormir sert à se reposer (???) – Fluoride – Risques cardiaques dus au cholestérol – La lecture précoce est signe d’intelligence – Thomas Edison ]

En d’autres termes, le monde de la pensée politique jouit d’une couche protectrice anti-contradiction, contrairement aux autres univers mentaux. 

Encore plus intéressant : pendant le déroulement de l’étude, les scientifiques ont utilisé un scanner IRMf pour mesurer l’activité cérébrale des participants. Ils ont pu constater que la remise en question des opinions politiques active des parties du cerveau différentes de celles qui sont utilisées pour traiter les autres types de contradictions.2    

légende: « Rouge – jaune: Régions du cerveau où les signaux augmentent quand les croyances politiques sont mises au défi » – « Bleu – vert: Régions du cerveau où les signaux augmentent quand les croyances non-politiques sont mises au défi » ]

Ils ont notamment découvert que le fait de voir ses croyances non politiques remises en question stimulait des régions du cerveau telles que le cortex orbitofrontal, qui participent à la prise de décisions. Par contre, la remise en question des convictions politiques a généré moins d’activité dans ces zones et plus d’activité dans le réseau du mode par défaut – un groupe de régions du cerveau associées à la création d’un sentiment de soi et d’un désengagement du monde extérieur. L’imagerie cérébrale a également montré que la contestation d’une croyance politique entraînait plus d’activité dans l’insula et l’amygdale – régions du cerveau en charge des émotions, en particulier des réactions de “combat ou fuite”  (fight-or-flight)  – que la contestation d’une croyance non politique.  

Ainsi, lorsque les participants voient l’une de leurs opinions politiques contestée, ils ont tendance à se retirer du monde extérieur. Ils activent les zones cérébrales spécialisées d’une part dans le traitement de l’intime, de l’identité, d’autre part dans le traitement du danger et de la peur, entre autres émotions primaires. État d’esprit, est-il besoin de le préciser, peu propice au changement…

Des douzaines d’études concernent la relation entre les convictions politiques et la capacité à changer d’avis. Leurs conclusions semblent assez constantes.    

L’étude ci-dessus examinait des personnes qui s’identifient à la gauche américaine, mais il va sans dire que le phénomène s’étend à tout l’éventail politique. Une autre étude a révélé que  » les personnes dont l’identité politique [est] très arrêtée [sont] moins susceptibles de croire en une cause anthropique du changement climatique et moins susceptibles d’appuyer les politiques gouvernementales en matière de changement climatique que celles dont l’identité [est] moins fixée ; en particulier lorsque ces personnes[sont] alignées sur la droite du spectre politique « .  

Une étude conclut que  » même quand de réels efforts d’analyse [sont] faits, les attitudes à l’égard d’une politique sociale [dépendent] presque exclusivement de la position déclarée du parti politique auquel on s’identifie ». Cette étude a également examiné la conscience qu’avaient les participants de leur propre dogmatisme politique et a constaté, comme on pouvait s’y attendre, que  » les participants nient avoir été influencés par leur groupe politique « . Bien entendu, ils pensent par contre “que d’autres individus, en premier lieu leurs adversaires idéologiques, [ont été] influencés »

Une étude suggère que le fait de montrer à des individus des preuves scientifiques qui vont à l’encontre de leurs croyances les amène non seulement à rejeter ces preuves, mais à perdre confiance dans la science en général.  » Comparés à d’autres participants à l’étude auxquels on montre des preuves de la validité de leurs croyances, les participants qui voient leurs croyances contredites par la science ont davantage tendance à en conclure que le sujet en question ne peut être étudié scientifiquement. En découle une perte de confiance dans la science de manière plus générale”.     

On trouve aussi des études sur l’effet de retour de flamme qui constatent que non seulement  » les corrections échouent souvent à réduire les perceptions erronées au sein du groupe idéologique ciblé […]. Au contraire, les corrections augmentent les perceptions erronées au sein du groupe ».

L’étude suggère une explication :  » Lorsqu’ils sont confrontés à des preuves contraires, les individus éprouvent des émotions négatives découlant d’un conflit entre l’importance perçue de leurs croyances existantes et l’incertitude créée par la nouvelle information. Dans un effort pour réduire ces émotions négatives, une réaction est de minimiser l’impact de la preuve contraire : en ignorant sa source, en développant des contre-arguments, en recherchant une validation sociale de leur attitude originale ou en évitant sélectivement la nouvelle information « .

Au cas où vous supposeriez qu’un plus haut niveau de diplôme prémunit contre ce genre de phénomène, des montagnes de preuves (sans parler de l’observation du monde réel) indiquent le contraire. Une étude  a spécifiquement examiné ce qu’il se passe lorsque l’éducation et les connaissances scientifiques se heurtent au dogmatisme politique :   » Les individus plus cultivés que la moyenne sont plus susceptibles d’exprimer des croyances conformes à leur identité religieuse ou politique en ce qui concerne les questions polarisées dans ce sens (par exemple la recherche sur les cellules souches ou l’évolution humaine), mais pas en ce qui concerne les questions controversées pour d’autres motifs (comme les aliments génétiquement modifiés) « .  Ainsi, pour les questions scientifiques controversées mais non politiquement polarisées, plus d’éducation signifie moins de dogmatisme – ce qui semble intuitif. Par contre lorsque les controverses liées à la science sont polarisées sur le plan politique (ou religieux), cette corrélation disparaît :  les croyances s’alignent simplement sur l’alliance tribale. En d’autres termes : plus vous êtes instruits, plus vous êtes susceptibles d’être des penseurs de haut niveau… jusqu’à ce que vous tombiez sur un sujet politiquement ou religieusement polarisé : vous dégringolez alors l’Échelle de la Pensée pour devenir de dociles partisans lambda.    

 Ce corpus de recherches, si nous sommes prêts à y sacrifier un peu de notre temps, nous  permet de mieux comprendre que le type de pensée de “haut niveau”, comme nous l’avons baptisée et définie plus tôt dans la série, et qui concerne le haut de l’Échelle de la Pensée,  est en fait neurologiquement différent du type de pensée de “bas niveau”, celui qui concerne le bas de l’Échelle de la Pensée. En réalité, la pensée de bas niveau n’est pas de la pensée à proprement parler, c’est plutôt de l’auto-préservation. Notre relation avec la culture intellectuelle suit le même chemin. Quand notre psyché a ses quartiers en haut de l’échelle, nous savons que penser… est juste penser. En conséquence, nous cherchons avant tout la vérité et n’hésitons pas à réviser nos opinions. Nous nous sentons à notre aise dans les Laboratoires d’Idées. Une fois que nos quartiers sont établis sur les premiers échelons de l’échelle, nous ne sommes plus capables de différencier pensée et auto-préservation. La confirmation de nos croyances semble conditionner notre sécurité, et nous voilà en quête d’une Chambre d’Écho où bunkeriser nos croyances. [ fin du Blue Box ]

La bonne nouvelle, c’est que la politique n’est pas confinée aux échelons inférieurs. Il y a beaucoup d’activité politique sur les échelons supérieurs. Le problème, c’est que le ratio haut/bas est assez catastrophique. Je crois personnellement qu’avec un peu de travail, il est possible d’améliorer ce ratio, mais il faut commencer par voir le paysage politique tel qu’il est. On ne peut pas améliorer une distribution continuellement aimantée vers le bas tant que nous n’avons pas pris conscience du phénomène, et cette prise de conscience ne peut se faire qu’à partir du moment où l’on prend également conscience d’une dimension verticale, du sommet de laquelle il est possible de penser la politique.

Tout cela me rappelle cette histoire que l’on raconte sur les Inuit, selon laquelle ils auraient “428 085 mots pour décrire la neige”. Que ce soit vrai ou juste un mythe sympa (spoiler: c’est un mythe), cela fait référence à un concept important : le niveau de nuance de notre pensée est limité par le niveau de nuance de notre langage. Avant de rencontrer le délicieux terme «  humblebrag  » ( néologisme désignant “l’humble fanfaron”), j’étais vaguement irrité quand quelqu’un se “vantait humblement”, mais cette irritation restait relativement inconsciente et j’aurais eu du mal à la mettre en mots. Une fois que le terme est entré dans mon vocabulaire et donc dans ma pensée, “l’humble fanfaronnade” est devenue une chose distincte dans ma tête. Le phénomène était maintenant clairement identifié et je savais exactement pourquoi il m’irritait. Autre conséquence heureuse, je me suis pris en flagrant délit d’humble fanfaronnade, ce qui m’a aidé à me corriger. Créer une terminologie pour désigner un concept nuancé aiguise notre capacité à réfléchir sur ce concept et à communiquer nos pensées aux autres. Si nous disposons des bons termes, la nuance devient un jeu d’enfant.

C’est ce que nous essayons de faire ici. Par exemple, considérez ces quatre penseurs politiques :

[ légende: Spectre politique / Spectre Psychique – Motivations politiques: VÉRITÉ & NATION PLUS PARFAITE / Motivations politiques: CONFIRMATION ET TRIOMPHE. ]

Les deux penseurs de gauche, du moins sur le sujet en question, partagent un point de vue commun. Même chose pour les deux penseurs de droite.

[ légende: Spectre politique / Spectre Psychique – Motivations politiques: VÉRITÉ & NATION PLUS PARFAITE ; Motivations politiques: CONFIRMATION ET TRIOMPHE ; Gauche / Droite ; Idées en commun ]

Spectre politique / Spectre Psychique – Motivations politiques: VÉRITÉ & NATION PLUS PARFAITE ; Motivations politiques: CONFIRMATION ET TRIOMPHE ; Gauche / Droite ; Idées en commun

[ légende: Spectre politique / Spectre Psychique – Motivations politiques: VÉRITÉ & NATION PLUS PARFAITE / Motivations politiques: CONFIRMATION ET TRIOMPHE – Haut niveau / Bas niveau ; Manière commune de penser; valeurs intellectuelles communes ]

  1. Il se peut que des discussions plus nuancées apportent une seconde dimension au spectre politique - quelque chose comme ça par exemple - mais ce n’est pas le genre de seconde dimension dont je parle. Dans le lien que je partage ci-dessus, la question “Ce que vous pensez" est enrichie d’une deuxième dimension. Il permet en effet d’apporter des éclaircissements à la discussion, mais il manque toujours la seconde dimension que nous avons introduite : le Spectre Psychique. En ce qui nous concerne donc, le schéma en 2D “liberté économique / liberté personnelle” reste unidimensionnel - je dirais tout au plus qu’il représente cette dimension unique de manière plus nuancée.

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